mercredi, avril 26, 2006

Vivre en (temps de) paix

Isfahan, Iran - Hall d'attente, gare de bus de Yazd, en plein centre geographique de l'Iran. Teheran est a 10h, Isfahan a 5 heures. Mon visa non-extensible de sept jours arrache a l'aeroport de Shiraz expire dans deux jours. J'espere que l'on pourra s'arranger a Isfahan, sinon je prendrai le premier vol pour la Turquie.

Ce sejour en Iran a bien commence. Restaurant Sharzeh a Shiraz. Des gens aises arrivent en famille pour deguster des plats traditionnels iraniens. On arrive dans le restaurant par une mezzanine. Un orchestre de 3 musiciens et un chanteur se produisent en bas. On m'installe a une table a cote de la petite scene. Il y a un violoniste qui part dans des solos endiables. Un joueur de Tombak, un joueur de santoor... http://www.iranmusic.tv/instruments/ ,un chanteur d'une voix lancinante parfois gaie, parfois triste. C'est un melange de musique tzigane, arabe et le tombak donne une touche indienne a l'ensemble pour celui comme moi, non specialiste.

Retour au hall de gare routiere. Un jeune pere emerveille suit son petit garcon qui semble effectuer ses premiers pas. Il gambade sans trebucher entre les rangees de sieges, va vers la porte de la petite salle de priere attenante a cette grande salle d'attente, il sort dans le soleil. Quelques instants plus tard, il revient dans les bras de son papa.

Sur l'ecran de television, une seance d'aerobic en pleine nature. Un leader et quatre acolytes en carre derriere lui, habilles en pantalon de jogging rose fluo et polo jaune saillant revellant leur carrure d'athlete, executent des figures de gymnastique sur une musique orientale rythmee par des beats. Suis-je le seul a eclater de rire interieurement ?

Ceci dit, le cinema iranien, c'est le style de cinema que l'on observe en se carressant dubitativement la barbe, le sourcil interrogateur, tout en fumant la pipe. C'est tres serieux. Dans le bus entre Shiraz et Yazd, habitue aux navets egyptiens et de bollywood ces trois derniers mois, j'ai pu voir un film ou il etait question d'execution par pendaison, de femme gifflee par un fonctionnaire, femme qui prend ensuite les armes avec ses camarades. Beaucoup de paraboles et d'esthetique a travers une bonne part de non-dits et de non-vus, par exemple un plan fixe de 30 secondes sur une porte fermee a clef.

Au-dela de l'ironie employee ci-dessus, je peux dire qu'il y a certainement une grande recherche estethique presente partout dans le pays et dans tous les domaines artistiques. Beaucoup d'Iraniens rencontres sont passionnes par l'art, la culture et l'architecture. Je n'ai jamais vu autant d'autochtones par exemple dans les lieux "touristiques" historiques de tous les pays traverses jusqu'ici. Il y a une passion pour sa propre culture et pour l'histoire de son pays. Le site de ruines de Persepolis par exemple ne desemplit pas de touristes iraniens venant de tout le pays. L'histoire de cette periode peut vous etre expliquee en detail par n'importe quel iranien.

La ville de Shiraz illustre bien cette atmosphere relax et l'amour des Iraniens et (surtout) des Iraniennes pour l'art. En venant de pays musulmans wahabittes, on est d'abord surpris par la relative emancipation des femmes. N'est-ce pas ici le pays de la revolution islamique, la seule vraie et dure republique islamique au monde ? Je m'attendais a voir des femmes (impures) lapidees aux coins de rues, et bien non, je suis decu ! Ce n'est pas du tout ca. Dans l'habillement d'abord. On est loin des tentes noires couvrant les femmes yemenites ou emirati, qu'on ne voit d'ailleurs jamais. Ici, elles portent des fichus colores, d'ou depassent deux ou trois meches de cheveux. Parfois un hijab, qui couvre egalement les epaules. En tout cas, jamais le visage. Souvent, elles portent un "manteau" vert, bleu clair, coupe le long du corps, qui peut arriver au-dessus des genoux. Et presque toujours des jeans et des baskets. Des lunettes de soleil et autres accessoires viennent completer un ensemble tres mode donnant a beaucoup de femmes un look de cinema italien des annees '50. Les hommes tiennent beaucoup a leur apparence egalement et sont souvent bien batis, resultat en partie de leurs 20 mois de service militaire obligatoire et d'une forme entretenue. Combien de jeunes n'ai-je pas rencontre, comptant les jours en attendant le debut de leur service ou, en permission, la fin.

Ensuite, la dolce vita a Shiraz. On a du mal a imaginer que cette ville se trouve dans un pays actuellement en haut de la liste des potentielles cibles militaires des Etats-Unis. Un vendredi, jour de repos hebdomadaire, qu'il est agreable de se ballader dans le jardin de l'Emam, cite des poetes, au milieu des familles qui piqueniquent entre les cypres et les etudiants des beaux-arts qui finissent leurs dernieres peintures. Plus loin, en prenant un taxi vers les hauteurs de la ville, une caverne a ete transformee en maison a the et est frequentee par les etudiants dans ce lieu naturellement frais ou regnent les voluptes de qalyan (narguile). Il y a aussi deux mausolees entoures de jardins, eriges en l'honneur de poetes celebres que Shiraz a accueilli.

Celui de Hafez habrite l'un des teahouses les plus atmospheriques que je n'ai jamais vu, meme si j'en verrai d'autres par la suite. Une cour avec une piece d'eau avec au premier rang des lits entoures de coussins et au deuxieme rang des alcoves construites dans les parois au milieu d'un jardin fleuri ou l'on trouve des bougainvilliers, des orangers... les gens, hommes, femmes, parlent autour de pots de the, fument le qalyan, s'observent... Des etudiantes font des photos experimentales et ont l'air de s'amuser. Quelques quartiers plus loin, le mausolee du second celebre poete, Sa'adi, L'ambiance y est la completement familiale, les momes s'amusent a lancer des pieces de monnaie sur les poissons au fond du puit central d'un teahouse sous-terrain au mausolee.

Le fort Arg-e karim Khani situe au centre-ville dans un espace amenage pour les pietons, erige dans la periode Zand pour rivaliser Isfahan, revele dans ses ailes des travaux de restauration en ebenisterie, une autre aile contient des galleries de photographies restaurees du debut du XXe siecle dont l'une qui montre un regiment de cavaliers indiens parader en plein Shiraz. Le colon anglais utilisant l'armee d'une colonie pour faire regner l'ordre dans l'autre. Pour terminer ce tour dans Shiraz, on est presque ramene a la realite, avec mon ami du jour, Miliz, un Iranien originaire de la region du lac d'Orumiveh, assyrien, chretien, se revendiquant d'ailleurs haut et fort comme tel avec sa casquette sur laquelle il est ecrit en grand "I LOVE JESUS", effet assure dans la rue, venu construire le metro shirazien qui entrera en fonction dans quatre ans. M'ayant amene partout en ce jour et refuse que je ne sorte le moindre ryal de ma poche, j'ai insiste, vraiment juste pour lui, pour que nous trouvions la seule eglise de Shiraz, il y avait une croix sur le plan et il ne connaissait pas cet endroit, habitant de l'autre cote de la ville. Apres pas mal de recherches, on se trouve devant un porche et un crucifix. On distingue entre les deux toles un jardin interieur. Un cerbere vient nous trouver pour dire que l'on ne pouvait pas entrer. Il faut un "airshot" (impossible de trouver la veritable orthographe de ce mot), en gros, une autorisation aupres de la police religieuse qui gere les allees et venues dans ce genre de lieu de culte. Inutile de dire qu'ils sont tres peu frequentes.

Yazd est une ville a premiere vue plus conservatrice, et l'une des plus vieilles au monde. On trouve dans la vieille ville un vrai dedale de ruelles entre des maisons et des murs de jardin construits en tourbe. Des cheminees distribuent par aspiration des courants d'air dans les batisses, Il y a quelques magnifiques jardins interieurs transformes en patio d'hotel ou autres batiments de l'administration locale. Ca donne tout de suite plus envie d'aller faire des demarches administratives.

Je n'ai vu a present de Isfahan que les affiches politiques et les posters de martyrs en pleine ville, un chauffeur de taxi qui m'a enjoint de retourner dans mon pays et deux maisons de the geniales pour tuer le temps a fumer le narguile en attendant que cette pluie cesse. Fumer le qalyan des 10h du mat avec les retraites c'est quand meme exagere... faut que je me reprenne.

Finalement, non. Ce visa ne peut pas etre etendu, et c'est logique, il est ecrit en grand, en travers : NOT EXTENDABLE. Ca ne peut etre plus clair. Je me trouve en Iran, pays le plus diabolise du monde, en situation illegale ou disons, irreguliere depuis hier minuit. Ca n'a pas l'air d'emouvoir le chef du bureau des etrangers. D'apres lui, tout s'arrangera a l'office central de Teheran. En attendant, relax.

Note: je commence a avoir un serieux retard sur ce blog, il y a tellement de choses a vivre ici en Iran... a la prochaine connection je commente les photos qui se trouvent ici.

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