vendredi, août 24, 2007

Liban : Episode III



Titre largement égocentrique, j'en conviens. Me voici de retour au Pays du Cèdre (et oui, au singulier, à force, il n'en restera plus qu'un) pour la troisième fois. La première, pour entamer un master en études politiques, la seconde, pour remplir une mission dans le cadre d'une ONG et terminer cette maîtrise, et la troisième, pour chercher un boulot digne de ce nom, à savoir, rémunéré. Cependant, voici un "pré-texte" destiné à décrire les premières heures d'arrivée au Liban, car c'est dans les premières heures que le contraste est le plus vif, avant que tout ne paraisse normal.

Si vous ouvrez un atlas à la page de la carte du monde, vous observerez que le Liban est juste en plein milieu de la carte, c'est sans doute ce qui donne aux Libanais l'impression qu'ils sont le centre du monde. D'autre part, malheureusement, le Liban est également en plein dans la faille entre les deux pages, difficile à voir, coincé dans le gouffre de la reliure. C'est sans doute pour cette raison que les Libanais aiment rappeler au monde qu'ils existent en se donnant un mal fou pour se démarquer. Voici un cortège de clichés, mais il faut bien un peu fixer le décors.

Ca commence à l'aéroport. Devant nous, une prostituée Tchèque, le vol vient de Prague. Elle tient en main son contrat de travail pour faciliter son passage à la douane. Son employeur sera le "Moonlight Super Nightclub" de Jounieh. Salaire, 500 dollars par mois. Elle semble déjà être habillée pour prendre du service. A la limite, elle peut se permettre de faire l'aller-retour sur le week-end, vive l'Euro Med. Dans une autre file, une cinquantaine de filles et de femmes bengali ou somaliennes, ce n'est pas clair. Le dernier charter de domestiques pour Achrafyié. Lors de mon dernier retour au Liban, je vois encore cette jeune fille à Athènes, au desk d'embarquement. Elle est visiblement libanaise, du Mont Liban. Elle n'avait ni passeport ni billet d'avion (je me demande comment elle est arrivée jusqu'à ce guichet). L'employée s'énerve et lui demande son nom, qu'elle n'est pas capable de donner. J'ai quitté la conversation, plein de Libanais s'occupant déjà du cas. Quelques minutes plus tard, je la verrai dans l'avion. Le miracle libanais a encore frappé.

Les taxis de l'aéroport, toujours difficile à négocier, le chauffeur est bonhomme, son porte clef au contact montre un drapeau libanais à côté de celui du Hezbollah. "Shou akhbar bi Lubnan habibi ? quelles nouvelles au Liban ?". "Qua-ïs, kil chi tamam" me répond-t-il avec un grand sourire. Tout va bien en effet: On traverse le grand boulevard vers la place Sassine, à gauche, sur toute l'étendue de la place des Martyrs et de Riad El Solh, entourant quasiment et le Serail (gouvernement libanais) et l'ESCWA (QG des Nations Unies pour tout le Moyen Orient), les tentes du sit in de l'opposition (Hezbollah et CPL) sont toujours là depuis décembre 2006. A droite du boulevard suspendu, une affiche de 30 mètres de haut sur un immeuble criblé de balles et d'impacts de mortier depuis la guerre civile, ventant les mérites de l'armée libanaise. On y voit un soldat libanais courant avec une hanse au bout duquel est fixé un drapeau libanais, au milieu des ruines de Nahr el Bared, le camp palestinien au nord de Tripoli, dont il ne reste plus un bloc de béton debout après trois mois de combats.

De retour à Sioufi en pleine nuit, le quartier où j'habite près de la place Sassine, l'immeuble en face est en réparation. Je n'ai jamais su si il a été démoli suite à la guerre civile ou si sa construction a été arrêtée subitement suite à un manque de financement pour continuer. On n'avait trouvé rien de mieux que d'abattre, dès juin, les deux arbres qui se trouvaient devant cet immeuble et qui le masquaient avantageusement, sans compter le doux gazouilli des oiseaux qui en émanait en fin de journée. Trop poétique pour Achrafiyé, pas assez bétonné. Je vois encore le deuxième arbre tomber à moitié sur le toit d'une mercedes garée de l'autre côté de la rue. Y a du spectacle de mon balcon... Pas de fenêtres, un immeuble en délabrement total. Les travailleurs syriens habitent sur le chantier. Leur linge pend à un fil sur une des terasses, on devine des matelas posés sur le sol poussiéreux. Le marteau piqueur, en fait je devrais écrire "camion marteau piqueur avec un boutoir de 20 mètres de haut", commence son oeuvre dès 4 heure du matin, dans une chaleur moite. J'ai l'impression que ça n'embête personne, en tout cas, personne ne se lève pour faire la révolution. Bon c'est promis, demain j'achèterai un ventilateur pour rendre la chaleur supportable et chasser les moustiques la nuit, contentons-nous d'agir sur ce qui est à notre portée. C'est un principe essentiel pour la santé mentale à long terme.

Premier contact avec la rue le lendemain matin. Une dame entre deux âges me demande un peu plus loin, en passant, de lever le volet métalique de son commerce de vieilles freloques. Puis il y a les "next time" quand on n'a pas le compte juste dans un sens ou dans l'autre. C'est cela aussi le Liban, tout en convivialité. Il faut le souligner cent fois.

La folie de la circulation est toujours à la hauteur de la folie du pays. Les routes deux bandes se transforment facilement en voies trois files, unidirectionnelles, jusque quand un camion en sens inverse, en pleine descente de montagne dans un virage, klaxonne comme un malade à grand renfort d'appels de phare, et là, tout le monde se range. Je ne sais toujours pas comment trois files redeviennent une et demie en si peu de temps. L'improvisation est le stade ultime de l'organisation comme disait le grand Lubanovski, entraîneur du Dynamo Kiev dans les années 80. Cette scene aussi sur l'autoroute 2 bandes dans chaque direction, entre Beyrouth et Damour : une jeune fille de 25 ans, cheveux aux vents, fait du velo... en contre sens. Elle avait l'air tout a fait sereine. La question n'est meme pas de se demander si on peut faire du velo sur l'autoroute, mais si on peut le faire aussi en contre-sens. Et tous ces panneaux (sens unique, interdiction de stationner, etc...) qui n'ont pas la moindre signification.

Les transports en commun ont aussi leur lot de phenomenes etranges. Ce jour-la, je me suis trompe de direction en prenant le bus Ein el Rmeine - Hamra. Je ne m'en suis apercu qu'au terminus, bien que mon doute grandit en cours de route. J'ai donc traverse Sabra et Chatila a l'aller et au retour. A un moment, dans un tournant, en raison de la conduite un peu trop brusque du chauffeur, une dame plutot agee, glisse sur sa banquete et se pete la figure dans l'aller centrale. Je pense que le chauffeur etait presse a cause de l'iftar, la rupture du jeun pendant le ramadan. Indignation dans le bus, les gens lui disent de faire attention, et il est vrai que ca conduite donnait une sensation proche de la nausee. Le chauffeur, en guise de protestation, a decide d'arreter le moteur et de se croiser les bras, indiquant que si c'etait comme ca, il arretait de conduire ! Une autre fois, deux dames, assises derriere le chauffeur, lui donnaient des ordres quand a la conduite a adopter aux carrefours. Elles l'engueulaient lorsqu'il ne prenait pas sa priorite de droite ou lorsqu'il s'arretait aux feux rouges !

Place Sassine, un immense portrait de Béchir Gemayel, jeune, beau et souriant, pend là où, à mon départ, il y avait un poster 20 m sur 15 de la Sainte Vierge qui disait que Marie nous rassemble tous, avec une foule en dessous d'elle représentant vaguement les couleurs des principale formations politiques au Liban, le rouge (celui-ci étant partagé par le PSP de Jumblatt et les Forces Libanaises de Geagea), le bleu, le jaune, l'orange. Effectivement, on retrouve Sainte Marie dans l'Islam et les religions chrétiennes du Liban, avec quasi la même vénération.

Pourquoi Béchir Gemayel ? Mais parce que cela fait 25 ans que le frêre d'Amine Gemayel, ex-président du Liban et père de Pierre Gemayel récemment assasiné, avait été placé à la tête de l'Etat libanais suite à l'invasion d'Israël et avec la bénédiction des Etats Unis ! Quelques jours après, il était assassiné, probablement par les services secrets syriens ou alors était-ce le mossad ? Ou une énième vendetta ? Un téléphone portable aurait actionné une bombe de plusieurs centaines de kilo dans l'immeuble où il se trouvait en réunion. La rumeur aurait couru à l'époque qu'il n'était pas mort, qu'il était lui même sorti de l'ambulance qui l'emmenait en morceaux. Il reviendra.

Je donnerais cher aussi pour retrouver un témoin de l'apparition de Saint Charbel à Achrafiyé, en pleine bataille contre l'armée syrienne en 1977-78. Il serait apparu dans les airs, donnant aux combattants maronites une nouvelle vigueur dans la violence des combats.(1)

Et la question qui n'est pas de savoir si il est interdit de vendre du tabac à des moins de dix-huit ans, mais si il est permis au moins de douze d'en vendre. Ca c'est pas typique du Liban par contre.

Sinon, les chasseurs israéliens se balladent toujours librement au-dessus de la Beka'a. Il n'y a toujours pas de gouvernement d'Union Nationale. Olmert geint à tout va que le Hezbollah est plus fort qu'avant la guerre d'octobre. Il y a une campagne présidentielle qui commence en septembre. Et il me semble que le dernier rapport de la commission Brammertz sur le plasticage du convoi de Rafiq Hariri, l'ex-premier ministre, n'a pas livré de grands scoops. Je pense, enfin j'espère, que les enquêteurs de l'ONU se seront rendu compte qu'au Liban, la vérité n'est pas capitale. La vérité est éventuellement un instrument, bonne à répandre si elle sert le dessein de celui qui l'invoque.

Un artiste glandeur, style contemplateur de la réalité, m'a dit dans un anglais approximatif, ou est-ce moi qui reproduit approximativement :

All this can only have a tragical end.
I don't know man. (moment de silence)
Maybe the tragedy is just in my head.

Mais rassurez-vous, malgré tout cela, il est encore possible, sans se mettre d'oeillères, d'avoir une vie tout à fait normale dans ce pays et d'en apprécier ses bienfaits. Il faudrait juste que ça dure et peut-être faudrait-il que ce soit le cas pour un plus grand nombre de Libanais.

(1) Je n'ai trouvé qu'une seule mention de cette apparition, dans l'ouvrage de Samir Kassir, La Guerre du Liban, de la dissension nationale au conflit régional.

Aucun commentaire:

Stats