vendredi, novembre 30, 2007

Président de consensus et implications

Beyrouth - On semble s'acheminer vers la solution de la présidence temporaire avec Michel Suleiman, commandant en chef des armées, comme président de la république du Liban. En fait c'était prévisible, si on lisait la presse des trois derniers mois et les déclarations multiples de la part de l'intéressé et des parties en présence, clamant que cette solution n'était pas envisageable... donc si on clame haut et fort que c'est non envisageable, c'est qu'on l'envisage sérieusement (nouveau dicton).

Le choix est hautement stratégique, car il met Michel Aoun, le leader chrétien de l'opposition, sur une voie de garage. Deuxièmement, il était prévisible que ce dernier ne pouvait pas s'opposer à la nomination du général militaire, car l'armée est la seule institution qui fait l'unanimité au Liban. Troisièmement, il est possible que ce choix ait pu avoir comme but de provoquer la fin de l'entente entre le Courant patriotique libre (parti de M.Aoun) et le Hezbollah. Ce dernier rejette dores et déjà tout amendement de la constitution à la majorité simple (voté par la majorité), visant à placer M.Sleimane à la tête de l'état. Cependant, le parti ne rejette pas sur le fonds la nomination de M.Sleimane. Selon la constitution en effet, le seul cas de figure pour qu'un militaire accède au pouvoir est qu'il ait quitté toute fonction militaire depuis 2 ans. Un amendement constitutionnel est donc bel et bien requis.

Tout le monde va présenter son choix comme étant le choix de la victoire de son camp. C'est de bonne guerre.

Cette nomination est supportée et présentée par la majorité, soutenue par Aoun, soutenue du bout des lèvres, sur le fond, par le Hezbollah, soutenue par l'Arabie Saoudite, les Etats Unis... C'est d'ailleurs en filligrane le contenu de la proposition (qui avait fait scandale) présentée par le président Emile Lahoud à la fin de son mandat vendredi dernier, l'état d'urgence en moins. Tout s'enchaîne : la commission Brammertz chargée d'investiguer sur le meutre de Rafiq Hariri ne nomme à nouveau personne dans son dernier rapport publié cette semaine, et le rapport se veut "soft" à l'encontre de la Syrie (texte complet ici); cette dernière se rend à Annapolis, même si elle n'envoie pas son plus haut représentant, ce qui rend le pouvoir iranien très nerveux et constitue une petite victoire pour l'administration US. En même temps, la Syrie donne "son feu vert" pour la nomination de Suleimane comme président intérimaire.

Sauf retournement de dernière minute, ceci devrait être la solution adoptée lors du vote du 7 décembre.

mercredi, novembre 28, 2007

Photos commentées (28/11/2007)

Beyrouth - Trois photos dans les dernières traitées qui méritent un petit commentaire.



Le passage entre les deux immeubles que l'on voit est exactement l'endroit où l'ancien Premier Ministre Rafiq El Hariri a été victime d'un attentat causé par une charge explosive que l'on estime à 2 tonnes de TNT. L'immeuble à droite a été salement endommagé. Solidere est l'entreprise, on va dire l'organisme, que feu Hariri avait mis en place pour transformer le centre de Beyrouth après les 15 années de guerre civile. Mais voilà, il apparaît que Solidere est également une vaste entreprise d'intérêts pas très nets (enfin, c'est ce qu'une certaine presse avance), et que surtout, elle ne fait pas de détails dans la rénovation. Ce qui est démolissable pour l'appétit des promoteurs immobiliers ne résiste pas longtemps, endommagé ou pas. Loin de moi la volonté de donner des leçons, c'est exactement pareil à Bruxelles et ailleurs. C'est ainsi que plusieurs quartiers historiques, dont Gemmeyzé, un joyau de Beyrouth, sont menacés régulièrement par une large opération de démolition, mais les habitants (souvent aisés) résistent. Ce qui remplace les immeubles historiques est en général très laid et fait peu attention aux maisons entourantes, style un mur de 10 étages planté à 1 m d'une façade existante. Ceci dit, il fallait quand même oser poser cette banderolle juste à cet endroit-là...



Qu'est-ce que ça vous dirait de tomber nez à nez sur une affiche d'une personne que vous connaissez, avec son nom et prénom, posant pour une campagne "Love yourself" ?
Une société de cosmétiques a lancé une campagne de pub dont les "acteurs" sont des quidams pris "au hasard" dans la rue. Au Liban, ça donne entre autres cette photo plus haut. Juste un peu narcissique...

Souq el-Ahad



Littéralement "le marché du dimanche". Lieu bien roots si il en est, en bas de mon quartier Sioufi en descendant vers le "fleuve" Beyrouth, et en-dessous des ponts et branchements d'autoroute. Ca a vraiment des airs du marché du midi à Bruxelles, franchement, on n'est pas dépaysé pour un sou. C'est un marché où l'on trouve de tout, surtout en vêtements et en accessoires de maison. Des briquets en forme de balles, des vêtements militaires, y compris des cagoules complètes à trois orifices... Mais aussi tout ce dont on peut avoir besoin quotidiennement bien sûr. Ca dure toute la journée du dimanche, c'est hyper bon marché.

lundi, novembre 26, 2007

Petites histoires (26/11/2007)

Comment lire la presse au Liban ?

Siniora a déclaré à qui voulait l'entendre jusqu'il y a peu qu'il n'entendait en aucun cas reprendre les pouvoirs présidentiels, or, qu'est-ce qui arrive ? "Siniora : le cabinet assume les pouvoirs présidentiels" (L'Orient le Jour de ce samedi).

Michel Aoun déclarait il y a quelques mois encore : "non je ne veux pas être président du Liban". Or qu'est-ce qui arrive ? Le même Aoun martèle à présent que si il n'est pas président, ce sera le chaos et l'enfer pour le Liban. Il aurait déclaré : "je ne suis pas un faiseur de rois, je suis le roi".

Il faut donc bien lire les déclarations dans la presse EXACTEMENT à l'inverse de ce qu'elles affirment. Si un politicien fait une sortie dans la presse pour dire "noir". Il faut lire qu'il a l'intention de faire "blanc". Ce qui m'inquiète, c'est que toutes ces pontes déclarent depuis des mois : "nous ferons tout pour éviter une nouvelle guerre civile au Liban". Faut-il lire : "Nous ferons tout pour provoquer une nouvelle guerre civile au Liban" ?

Rapports de force

L'invitation dernière minute de la Syrie à la table des négociations, via son vice-ministre des Affaires Etrangères (les autres délégations ont envoyé au moins leur chef de la diplomatie), à la conférence d'Annapolis sur le le Proche Orient, est certainement un pas dans le bon sens pour la résolution de la crise que traverse le Liban. Avec le Golan toujours officiellement annexé à Israël et un état de guerre officiel, Damas ne peut se permettre de laisser un président "anti-syrien" se hisser à la tête de l'Etat libanais. Avec ou sans le Golan d'ailleurs. J'imagine mal le représentant syrien dansant la dabkhé avec Olmert après la conférence de cette semaine.

Il faut voir l'évidence en face : le gouvernement s'est arrogé les prérogatives de la présidence, dont le commandement de l'armée. Il est difficile d'invoquer une réelle "neutralité" dans le chef de la force armée, étant donné qu'elle est sous le commandement de la même partie qui donne les ordres aux forces de sécurité intérieure et à la police. En face, il ne reste que la milice du Hezbollah comme seule force crédible. Et au-delà, pas mal de factions non déterminantes, mais au pouvoir de nuisibilité assez étendu. Il faut voir comment, et si, l'armée suivra les ordres donnés en cas de troubles plus graves.

En attendant, les troupes et quelques tanks se sont positionnés sur les lignes de séparation entre des quartiers à tendance sunnites et chiites principalement.

Pour être tenu minute par minute des dernières évolutions (les faits bruts), je suggère Naharnet.

jeudi, novembre 08, 2007

Nouvelles présidentielles

Les Etats Unis appellent les forces du 14 Mars à violer la constitution libanaise. Puisque le gouvernement ne parvient pas à trouver un compromis avec l'autre moitié du pays, qu'il élise le nouveau président à la majorité (parlementaire, élections d'avril 2005) absolue. Une élection à la majorité absolue, "comme cela se fait dans une démocratie" (on ne va pas commenter). C'est aussi le message des "Faucons libanais" qui se reconnaîtront, contre une opinion croissante au sein même de la majorité gouvernementale qui préfèrerait une présidence consensuelle. Même l'Orient Le Jour fait dans le consensuel ces derniers jours.

Violer une constitution, c'est tellement démocratique. Bah, et après tout, si ça ne marche pas par la démocratie, autant le faire par le putsch, on n'est pas à cela près. Après tout, on ne compte plus les démocraties nées d'un putsch à un moment de leur histoire. Le meilleur moyen de jeter à nouveau le Liban dans les bras de la Syrie est d'y semer la discorde et d'y jouer un camp contre l'autre. Comme en 1975 et en 1983.

Rencontres au sommet la semaine dernière, on ne peut faire sans rapprocher ces rencontres. D'un côté le pouvoir temporel à Washington: G.W. Bush et N. Sarkozy. De l'autre le pouvoir spirituel au Vatican : Benoit XVI, gardien du Centre Saint de la Chrétienté et le Prince Saoud al-Fayçal, gardien du Centre Saint de l'Islam, pour le "Sommet de l'obscurantisme". Le monde va bien. Dans les deux cas, le Liban fut bien entendu au sujet des discussions.

En gros, les pontes Libanaises attendent les résultats des rounds internationaux sur le Liban pour la nomination (on ne va quand même pas parler d'élection) de leur président. C'est en substance les titres d'actualité des principaux journaux libanais et ce qu'il faut en retenir.

Les Taal-iban ont encore frappé.

Taal, en flamand, ça veut dire "langue". J'ai toujours trouvé cette expression appropriée pour décrire ceux, ces particularistes d'un autre âge, qui n'ont décidemment trouvé aucun autre problème dans leur vie que celui endémique de la langue d'affichage des panneaux de signalisation. On a tous nos intégristes.

Rassurez-vous, chers amis libanais, vous n'avez pas le monopole du ridicule communautariste. En Belgique, on peut faire fort également.

Guerre civile en Belgique (merci Michele) :


Pas besoin de tonnes de discussions


La carte ci-dessus représente les pertes palestiniennes et l'occupation qui dure depuis 40 ans. On peut chercher des explications : les fous de Dieu, le Hamas, le Hezbollah, l'anti-sémitisme, la menace nucléaire iranienne, le droit d'Israël à l'existence et tout ce qu'on veut, mais tout est dit dans cette carte.




lundi, novembre 05, 2007

La Bekaa nord, le Hermel, le Aakar

Désormais, chaque lundi, une petite histoire pour bien commencer la semaine.
Je retape mes notes telles quelles, pas le temps de broder, je laisse cela pour plus tard. Il s'agit d'un tour du Liban que j'ai effectué le week-end du 12 octobre, en partant de Baalbeck et en arrivant à Tripoli par le Nord du Liban.

Le week-end commence le jeudi soir avec un iftar à Baalbek, c'est la rupture du jeûn quotidienne pendant ce mois de ramadan. Et celui-ci est particulier puisqu'il s'agit de la veille de l'Aïd (el fitr), autrement dit "le petit aïd", ou encore la fête qui ponctue le ramadan, le dernier iftar donc. Nous avons la chance d'être au milieu d'une troupe de danseurs de dabkhe, danse typique du mashreq. Les danses seront furieuses jusque tard dans la soirée. L'un des convives est le docteur A. Pendant la guerre de Juillet 2006, il est resté pour soigner les urgences. Il a envoyé sa femme et ses enfants à l'étranger. Il a travaillé jour et nuit, sans reconnaissance de l'Etat libanais, mais avec le sentiment du devoir accompli.

Le lendemain, visite chez un autre docteur, le docteur Jammal, dans son laboratoire médical, une mine d'instruments qui me fait penser aux laboratoires de facultés de médecine, ses posters, ses alambics et instruments divers. J'ai l'impression que la famille Jammal couvre le sud du centre de Baalbek de toute son ombre : le labo Jammal, la banque Jammal, l'hôtel Jammal....

D'après le docteur, si on creuse à 6 mètres dans le sol, on découvrira que tout Baalbeck se trouve sur des ruines romaines. Il y a une richesse folle ici. Si on remettait tout droit, "on pourrait payer la dette du Liban sans problème".

Il y a un lieu qu'il y avait longtemps que je voulais visiter, c'est le mausolée de la petite-fille (ou fille ?) d'Hussein, le martyr fondateur du chiisme. Elle présente un dôme comparable aux mosquées que l'on croise en Iran, faite d'un bleu azur à couper le souffle. L'entrée fut épique, deux gardes du hezbollah, pistolet enfoncé dans la ceinture dans le dos, fusil mittrailleur posé sur la banquette arrière de la voiture.... Après quelques discussions, pas moyen d'entrer avec mon appareil-photo, ils le garderont.

Une entrée séparée pour les hommes et pour les femmes. L'intérieur est superbe. Tous les murs et les plafonds sont couverts de petits miroirs, c'est un véritable palais des glaces. Au milieu, le mausolée de la descendante d'Hussein. Ce n'est pas un mausolée comme on les voit en Iran, mais véritablement une mosquée. Ces miroirs sont doublés de petits carreaux jaunes, bleus, verts. Avec la litanie du muezzin, tout ceci vous fait entrer assez rapidement dans une phase méditative.

Un passage dans un snack-boucherie-restaurant pour goûter le spécialité locale (quoique j'ai déjà entendu parler plusieurs fois de cette spécialité dans plusieurs localités) : le sfiha, pour moi un lointain cousin du bourek que l'on mange dans les balkans et en turquie. Il se mange aussi avec une couche de fromage blanc que l'on choisit ou non d'appliquer sur cette pâte feuilletée fourrée à la viande hachée. Je remarque en tout cas la photo noir et blanc du tenancier avec l'imam Moussa Sadr, une photo qui doit bien avoir 30 ans, sinon plus, dans la cour intérieur maculée de blanc sur fond de ciel bleu pur. Ils posent côte à côte devant les ruines du temple de Baalbek. Moussa Sadr, coiffé "à la Ayatollah" est une figure centrale du chiisme au Liban. Il fonda le mouvement des déshérités, pré-figure du Amal de Nabih Berry et du Hezbollah.


Avant de quitter la charmante bourgade de Baalbek, où le temps s'écoule définitivement autrement que sur la côte libanaise, mais on pourrait presqu'en dire autant de toute la Beka'a, visite de la mosquée ommeyade, devant l'entrée nord des temples romains. Le gardien allait quitter les lieux, mais il nous a dit : ok pour 5 minutes. La cour intérieure est typique des mosquées du même genre, sur le modèle (réduit) de la mosquée ommeyade de Damas. Un grand espace, avec au milieu, un bassin d'eau claire et bleue. A l'intérieur, les chapiteaux sont à la fois romains et islamiques. Les boiseries sont magnifiques. En fait, il y quelque temps, cette mosquée était entièrement à ciel ouvert et elle a été restaurée. Bon, on a donc équitablement visité les mosquées chiites et sunnites de la cité, pas de jaloux, nous pouvons donc y aller.

Vers le Hermel

Dans cette route vers le nord extrême de la Beka'a, on croise des villages mixtes, des petites églises orthodoxes font face à des petites mosquées de l'autre côté de la rue. Ce sont des villages-routes, étalés le long de la voie carrossable. Entre ces villages, le paysage me fait penser à la Jordanie ou à la Cisjordanie. Sec, rocailleux, la même couleur jaune foncée.


A hermel, on retrouve l'Oronte, qui coule vers la Syrie, et ses fameuses truites. L'occasion de se faire un festin le soir de notre arrivée. C'est quand même une région un peu rude. Tous les gosses jouent avec des flingues, des jouets certes, mais des flingues quand même qui crachent des petites billes en plastique. Plusieurs fois au cours de la journée, on se fera "tirer dessus", pour jouer, mais tirer dessus quand même.

Hermel, la ville, est connue aussi pour sa fameuse pyramide que l'on voit sur les cartes postales. Pas un garde, si ça vous chante, vous pouvez l'escalader du nord et redescendre en son sud. Le petit coin d'ombre qu'elle projette n'est pas pour déplaire. Il y a aussi la grotte de Mar Maroun, St Maron, le patron des Maronites. Il s'y serait réfugié à un moment de son parcours ermite depuis la Syrie jusque dans les montagnes chrétiennes libanaises. En tout cas, il avait bien choisi son refuge. En contrebas de la grotte, l'Oronte coule au milieu de la verdure. L'endroit est absolument calme.

De Hermel, nous sommes passés dans le Akkar, région la moins peuplée et la plus pauvre du Liban. On passe vraiment par des routes de contrebande. Les accents sont incompréhensibles. Ce sont des paysages verts et secs à la fois. On passe par des villages aux noms de Fassine, El Hachiche...

Le soir, arrivée à Tripoli par Nahr el Bared, dévasté par le guerre de cet été. Un café au lait et un thé bien mérités sur la corniche El Mina de Tripoli, puis retour à Beyrouth.

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