lundi, octobre 29, 2007

De l'eau, pas de président !!

Beyrouth - Une annonce reçue automatiquement dans ma petite boîte email ma rendu un peu nerveux hier soir, en plus du triple café tassé qu'il ne faudrait jamais boire un dimanche après 6 heures.

Il s'agissait d'une annonce pour la Banque Mondiale, cherchant à engager des experts en investissements privés pour le Liban. A priori, c'est une excellente idée que d'engager de tels experts. C'était la conclusion d'un rapport d'étude, que j'avais formulée au sujet de Paris III et dans laquelle je soulignais l'absolue nécessité pour le Liban de créer un tissu économique basé sur la petite et moyenne entreprise, sain et viable, au moyen de crédits appropriés, pour sortir le Liban de son économie rentière basée essentiellement sur la finance et la gestion de sa dette publique au bénéfice de quelques (quand même nombreux) vautours et au détriment de la population.

Je vais donc voir l'annonce, et quelle ne fut pas ma surprise (je suis quand même resté un grand naïf), de voir qu'il s'agissait d'engager des "experts en privatisation". En gros, des personnes spécialisées dans le transfert d'activités publiques vers le secteur privé.

Recadrons les choses. Le Liban est une économie ultra-libérale, sans réelle autorité étatique, où l'impôt est laissé au bon vouloir du percepteur en fonction du backshich perçu, alors que son taux est parmi le plus bas du monde. Il n'y avait pas d'impôt sur les sociétés il y a peu, et la TVA est de 12%. Les hausses d'impôt se décident par hausse de la TVA, l'impôt le plus injuste. Il n'y a bien sûr quasi aucune forme d'accises sur le tabac ou sur l'alcool, ou à peine. Y a pas que du mauvais dans ce système...

Pendant ce temps-là, Beyrouth est asphixiée de ses 4X4 et de ses Hummer. Enfin soit, je n'ai aucune forme d'envie envers les nouveaux riches ni les anciens d'ailleurs, du moment que leur mode de vie n'empiète pas sur le mien et sur celui de mes amis. Et là, c'est pas gagné.

La distribution d'eau: 4 à 5 heures d'eau par jour. Exemple. Ce week-end, pourtant situés dans une quartier relativement aisé de Beyrouth Est (disons de classe moyenne chrétienne), on n'a plus eu d'eau à partir de samedi 23H, jusque dimanche 18H. Le problème n'est pas tant qu'il n'y ait que quelques heures d'eau par jour mais qu'on ne sait pas quand il y aura de l'eau. J'étais en Roumanie au début des années 1990, juste après la chute des Ceaucescu. Je me souviens qu'on avait droit à 4 heures d'eau par jour, du style 6-8H et 17-19H. Au moins on savait à quelle heure remplir les seaux et les bidons. Et quand tirer la chasse. On disait alors : mon dieu, regardez ces pauvres gens, 40 ans de communisme, voilà où ça mène. A quoi va-t-on attribuer les pénuries d'eau au Liban, certainement le pays le plus riche en or bleue de tout le Moyen Orient ?

L'électricité: EDL (Electricité du Liban) est en déficit de 1 milliard de dollars par an, un quart ou un cinquième je ne sais plus, du budget de l'Etat à lui tout seul. Il y a les déviations illégales de certains quartiers qui se servent sur le réseau. Etat du réseau incurable, il faudrait faire table rase et tirer partout de nouvelles lignes. Une centrale qui marche à moitié et une autre en réparation au nord, endommagée par une (1) katouchia tirée du camp de Nahr el Bared durant les combats de cet été. Rupture dans l'approvisionnement de pétrole. Résultat : longues pénuries d'électricité, en général de longues coupures la journée, et les générateurs qui tournent à plein régime. Heureusement, il y a le privé ! L'électricité "privée" est vendue à prix d'or. 45 euros par mois dans une petite ville de province, pour 5 ampères tirés d'un générateur collectif privé. 5 ampères, ça veut dire que vous ne pouvez pas brancher un fer à repasser en même temps que votre chauffe-eau fonctionne, sinon les plombs sautent... Pour 10 ampères, on monte tout de suite dans les 80 euros. Autant dire que si vous avez un cousin qui est dans le business des générateurs et des UPS (pour ordinateurs), vous avez un milliardaire dans la famille !

On va me dire, jusqu'ici, que ce que je décris est la preuve que le secteur public ne peut remplir ces tâches, qui devraient donc être assumées par le privé. Voyons donc ce qui est privatisé et qui donc devrait marcher.

Soins de santé: pas de couverture sociale et les services médicaux hors de prix. 60 dollars pour une radio et l'auscultation et 150 dollars pour un plâtre. Rappelons le salaire moyen d'un Libanais (qui gagne déjà bien sa vie) : entre 500 et 600 dollars par mois. Dans ces conditions, tomber malade ou avoir un accident n'est pas vraiment une option.

Education (supérieur) : l'Université Libanaise est sans doute une très bonne université, mais si vous voulez aboutir à une situation au Liban, vous ne pouvez passer à côté de l'une des nombreuses institutions privées qui dispensent leurs cours (souvent vides), à coup de tarifs dignes de Harvard et de Philadelphie. 6000 euros (annuels) pour des Etudes de Sciences humaines, 10000 euros pour une école de commerce réputée, entre 12000 et 20000 euros pour des Etudes de Médecine, à peu de variation près entre Université St Joseph, American University of Beirut, LAU, NDU, IUT etc... Pas de bourses publiques bien évidemment.

Télécommunications : l'un des réseaux internet les plus chers du monde et les plus lents. L'ADSL vient d'être annoncé à grand renfort de publicité, mais son débit réel ne dépasse pas les 512K. Alors qu'on est à la deuxième génération ADSL en Syrie, avec des réseaux 2 gigabit et que cela fait des années qu'il est disponible partout au Yemen dans les internet cafés.

Le réseau de téléphonie mobile EST le plus cher du monde. 2 compagnies privées et une semi-publique se partagent le monopole du marché. Il revient moins cher d'appeler de poste fixe à portable libanais depuis l'Europe (dans le sens Europe-Liban) que d'appeler de portable à portable au Liban. L'utilisateur de base de portable ne peut pas s'en tirer avec une facture de moins de cent dollars par mois. Si vous ne rechargez pas votre téléphone à carte prépayée dans les deux semaines, votre numéro se volatilise et vous êtes bon pour en racheter un autre. La ligne permanente s'achète, dans les 100 dollars (vous achetez un numéro). Bref, une vraie mafia.

Alors, quand la Banque Mondiale ou le FMI, ou une conférence style Paris II, Paris III ou Téhéran I, viennent annoncer qu'il faut d'avantage de privatisation au Liban, alors que le grand public n'a pas d'accès satisfaisants aux commodités de base (de chez base) que sont l'eau, l'électricité et les soins de santé, je me dis qu'il y a un manque sérieux d'ophtalmologues dans le monde, pour rester gentil. Ce n'est pas de privatisations dont le Liban a besoin, mais bien de renforcement de son secteur public laissé à l'abandon. Lorsqu'il fonctionnera, il sera éventuellement temps d'envisager sa privatisation.

Ce qui m'étonne, dans cette situation de pénurie généralisée, c'est que les gens restent rivés à leur poste de télévision pour regarder s'ébattre cette classe politique incapable d'assurer à la population le minimum vital.



mercredi, octobre 17, 2007

Iraq, Oil and politics

Dans le cadre des conférences organisées par le CIEL à l'USJ, une conférence de Walid Khadduri.

Walid was educated at: Baghdad College, Baghdad 1959, then took a BA in Sociology, Michigan State University, 1963 and MA and PhD in International Relations, The Johns Hopkins University, 1966, 1972..

He has been Director of Research, Institute for Palestine Studies, Beirut, 1970-73.Instructor, Political Science, Kuwait University, 1973-75. Director of Information, Organization of Arab Petroleum Exporting Countries (OAPEC), Kuwait, 1975-1981Managing Editor, Middle East Economic Survey (MEES), Nicosia,1981-2003,Editor-in-Chief, MEES, 2003-2004.Economic Editor. al-Hayat, Beirut, 2004-2006.

He is the author of books and articles on geopolitical aspects of Middle East Oil.
  • Pourquoi la guerre ?

Pourquoi l'Irak est-elle tellement importante ? Elle détient la deuxième place des réserves de pétrole mises à jour, derrière l'Arabie Saoudite (1). Les causes officielles de la guerre en 2003 étaient les Armes de destruction massive, puis les liens du régime avec le terrorisme d'Al Qaeda. Aucune de ces allégations n'ont pu être prouvées à ce jour. Pire, il semble que la guerre ait alimenté la croissance du réseau terroriste d'Al Qaeda.

Alan Greenspan a reconnu que le pétrole était la raison de l'invasion.
Commercialement, il n'y a pas de différence dans l'exportation du pétrole vers les Etats Unis. Le niveau a toujours été sensiblement pareil, quel que soit le régime à Bagdad. Des raffineries sont prévues depuis des lustres aux Etats Unis, spécialement conçues pour le raffinage du brut lourd et épais irakien.
  • Production et économie du pétrole

L'Irak pourrait produire 2 millions de barils de pétrole supplémentaires si elle était en situation de paix. Et ceci ne concerne que les champs découverts. La production actuelle est précisément de 2 millions de barils par jour, elle pourrait donc doubler. Sur les 2 millions de barils produits par jour, 1,5 millions de barils sont destinés à l'exportation. Il faut reconnaître que depuis 30 ans, l'Irak est en guerre ou sous embargo, et cette production optimale n'a jamais été atteinte. La limite à l'exportation met la pression sur les prix. Il y a des champs encore inexploités en Irak, un cas unique au monde. Notamment un champ de 600 mille barils par jour, découvert en 1973 dans les provinces kurdes et toujours pas exploité. Cette production est équivalente à celle du Qatar.

  • Fédéralisme et distribution

Auparavant, le pétrole était nationalisé et centralisé. La question de la distribution des revenus du pétrole nécessite une médiation. 90% des ressources se trouve au sud. La fédéralisation de l'Irak est un fait. Il y a trois parties. La constitution est vague sur la distribution des revenus du pétrole et son exploitation. Les Kurdes, au nord, commencent à signer des contrats avec des compagnies étrangères. Dix accords ont déjà été signés par les Kurdes. Les majors qui signent avec une entité fédérée ne peuvent en principe pas travailler dans le reste du pays, elle doivent donc mesurer les pertes et les bénéfices de tels accords.

Après une négociation de 10 mois, un accord de distribution est intervenu, pour une période de 20 ans.
  • Conditions

Les conditions quotidiennes internes sont, malgré cette richesse énergétique, désastreuses. Il y a à peine une heure d'électricité par jour sur le réseau. Dix millions de dollars se perdent par jour dans le vol de pétrole et la corruption.

On sait que la situation sécuritaire à Bagdad est désastreuse. Le Secrétaire d'Etat au pétrole a été enlevé par une centaine de kidnappeurs dans ses propres bureaux devant ses gardes de sécurité impuissants.
Depuis 2003, vingt pour cent de la population a émigré.

Al Qaeda contrôle la plupart des entrées de Bagdad. Il n'y a plus d'armée ni de police sérieuse. Certains éléments de ces corps "de sécurité" tuent parfois sur simple base de la carte d'identité.
  • Problèmes extérieurs
Dans la problématique Région kurde vs. Turquie, le seul oléoduc de sortie est vers la Turquie. Etant donné les tensions, plus de cent compagnies turques ont quitté la région kurde depuis la régionalisation.
Le pétrole est une question nationale, voire nationaliste, en Irak. La possibilité que les Etats Unis s'approprient des champs en contrepartie de "leur effort de libération de l'Irak" est extrêmement mal perçu dans la population.
Il y a aussi des problèmes frontaliers concernant des champs. Avec l'Iran et le Kuweit. Si on compare avec la Grande Bretagne et la Norvège, le conférencier fait état de la nécessité de gouvernements solides et sensés pour une exploitation commune saine et intelligente de ces ressources.
Dans cette structure d'Etat fédéral, chacun tire parti de ses voisins. Les Sunnites de l'Arabie Saoudite, les Chiites de l'Iran, et les Kurdes des autres Kurdes, et paraît-il, d'Israël.(2)
Historiquement, chaque fois que Bagdad a été faible, les Turcs et les Perses sont entré en Mésopotamie pour occuper le Kurdistan.

Au sud, à Basra', on voit apparaître des milices chiites pro-irakiennes, et d'autres pro-iraniennes, qui s'affrontent violemment. Le conférencier rappelle que lors de la guerre Iran - Irak, le gros des troupes était composé d'Irakiens de confession chiite. Le sentiment patriotique a toujours été développé au sein de toutes les confessions.(3)
  • Que faire ?
Il est bien entendu impossible de développer l'exploitation du pétrole dans les conditions actuelles.

Les Irakiens doivent s'asseoir et élaborer un nouveau contrat social : quel type d'Etat veulent-ils ? Un Etat religieux ou séculaire ? Un Etat centralisé ou décentralisé ? (4)
Après la conférence, un silence de quelques secondes, lourd, a régné sur la salle, comme si il n'y avait rien à y ajouter.

Commentaires :

(1) Il y a d'autres raisons à l'invasion U.S. de l'Irak. D'une part, les Etats Unis n'ont pas que le pétrole comme intérêt dans la région, même si ce n'est pas le moindre. Il y a aussi le marché des armes auprès des pétromonarchies du Golfe (voir un article précédent), les bases militaires au Bahreïn et au Qatar, et la protection d'Israël. D'autre part, l'affaiblissement relatif du lien entre l'Arabie Saoudite et les Etats Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001, ont amené les Etats Unis à revoir leur stratégie dans la péninsule arabique en procédant à un rééquilibrage de leur dépendance à l'égard de Riyad. Un pied à Riyad et un pied à Bagdad.
(2) pourtant alliée à la Turquie.
(3) Bien que le conférencier n'ait pas été en mesure d'expliquer pour quelle raison ces tensions communautaires sont apparues subitement, comme si elles venaient de "nulle part".
(4) Gageons que ces questions ne se posent même plus aujourd'hui...

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