vendredi, août 31, 2007

... né. A Beyrouth.

Le festival du film libanais s'est terminé hier. J'ai assisté à quelques unes des soirées. Il y a eu des choses intéressantes, et d'autres moins. En fait il s'agit surtout de courts et de moyen métrages. Mais la production globale est plus que satisfaisante, surtout si l'on considère les moyens du bord.

La 6e édition, celle de cette année, devait avoir lieu l'été dernier, mais, guerre oblige, elle fut reportée. Ce n'est pas un festival sur la guerre du Liban, mais il va de soi que beaucoup de productions de ces derniers mois en sont marquées.

Dans les courts que j'ai vu, en animation, Beirut de Elie Dagher, qui décrit une ville ou l'eau est devenue une denrée très rare, était techniquement abouti, le désormais classique Superhajja (et non Super Geagea) de Tarek Kandil, la courte histoire de cette mémé voilée qui arrête, grâce à ses super-pouvoirs, une méga-bombe qui allait tomber sur un village. La palme du no budget film revient à Ziad Antar et son La marche turque, qui est en fait une vue unique en plongée et en noir et blanc sur les mains d'une pianiste qui nous joue la marche turque de Mozart (vous savez, le pom pom pom....) sur un piano dont les marteaux ne frappent pas les cordes. On entend donc juste le bruit des frappes de doigts sur les touches.

Welcome to Beirut de Fouad El Khoury, est un peu long, mais est un regard relativement intelligent et léger sur la vie libanaise (plus beyrouthine que libanaise) en général.

D'un point de vue esthétique, et même si le sujet est lourd (les villes et villages du sud après les bombardements israéliens de l'été dernier), Après l'Orage de Leila Kanaan est magnifiquement filmé. Des plans fixes, en noir et blanc.

Music de Zeid Hamdan est un tour d'horizon de la musique underground, que j'aurais plutot qualifiée juste d'alternative en terme absolu, au Liban. Le tout dans un rythme bien emmené. Le sujet est intéressant même si il est forcément limité. Une autre critique serait peut etre que le grunge, c'etait il y a dix ans les gars. Mais peut être suscitera-t-il des vocations, et c'est la le plus important. Pour un apercu et des liens vers les groupes tels que Scrambbled Eggs, Lumi, The New Government :
http://www.lebaneseunderground.com/

Un cercle autour du soleil de Ali Cherri est un court hyper lourd, la palme du condensé de lourdeur en aussi peu de temps. Assez remarquable en soi que pour être souligné. Je ne résiste pas à retranscrire ce passage : "J'étais déçu le jour où ils annoncèrent que la guerre [celle de 1975-91] était finie. J'avais l'habitude d'être transporté de joie à l'idée de vivre dans une ville anthropophage, cannibale, une ville qui se consomme elle-même, telle une sécretion excessive de l'estomac qui viendrait à s'avaler graduellement lui-même". Il y a un malaise...

Enfin, j'ai fort apprécié Le Liban en Automne de Nadim Tabet, assemblage d'images tournées dans les années 70, d'une famille joyeuse qui va faire du tourisme à travers le Liban, va à la mer, se ballade en bateau. Puis on les voit dans une maison de campagne, dans la famille, à la montagne autour d'une table pour apprécier des verres d'arak, avec quelques plats libanais sur la table et des légumes crus. Ca respire le bonheur, mais d'un autre côté il y a on ne sait quoi d'angoissant qui transparait dans le film.

Le reste je n'en parle pas. J'ai raté aussi les deux tiers des projections, et vu le programme, quelques perles.

http://www.neabeyrouth.org

http://www.makefilmsnotwar.org

vendredi, août 24, 2007

Liban : Episode III



Titre largement égocentrique, j'en conviens. Me voici de retour au Pays du Cèdre (et oui, au singulier, à force, il n'en restera plus qu'un) pour la troisième fois. La première, pour entamer un master en études politiques, la seconde, pour remplir une mission dans le cadre d'une ONG et terminer cette maîtrise, et la troisième, pour chercher un boulot digne de ce nom, à savoir, rémunéré. Cependant, voici un "pré-texte" destiné à décrire les premières heures d'arrivée au Liban, car c'est dans les premières heures que le contraste est le plus vif, avant que tout ne paraisse normal.

Si vous ouvrez un atlas à la page de la carte du monde, vous observerez que le Liban est juste en plein milieu de la carte, c'est sans doute ce qui donne aux Libanais l'impression qu'ils sont le centre du monde. D'autre part, malheureusement, le Liban est également en plein dans la faille entre les deux pages, difficile à voir, coincé dans le gouffre de la reliure. C'est sans doute pour cette raison que les Libanais aiment rappeler au monde qu'ils existent en se donnant un mal fou pour se démarquer. Voici un cortège de clichés, mais il faut bien un peu fixer le décors.

Ca commence à l'aéroport. Devant nous, une prostituée Tchèque, le vol vient de Prague. Elle tient en main son contrat de travail pour faciliter son passage à la douane. Son employeur sera le "Moonlight Super Nightclub" de Jounieh. Salaire, 500 dollars par mois. Elle semble déjà être habillée pour prendre du service. A la limite, elle peut se permettre de faire l'aller-retour sur le week-end, vive l'Euro Med. Dans une autre file, une cinquantaine de filles et de femmes bengali ou somaliennes, ce n'est pas clair. Le dernier charter de domestiques pour Achrafyié. Lors de mon dernier retour au Liban, je vois encore cette jeune fille à Athènes, au desk d'embarquement. Elle est visiblement libanaise, du Mont Liban. Elle n'avait ni passeport ni billet d'avion (je me demande comment elle est arrivée jusqu'à ce guichet). L'employée s'énerve et lui demande son nom, qu'elle n'est pas capable de donner. J'ai quitté la conversation, plein de Libanais s'occupant déjà du cas. Quelques minutes plus tard, je la verrai dans l'avion. Le miracle libanais a encore frappé.

Les taxis de l'aéroport, toujours difficile à négocier, le chauffeur est bonhomme, son porte clef au contact montre un drapeau libanais à côté de celui du Hezbollah. "Shou akhbar bi Lubnan habibi ? quelles nouvelles au Liban ?". "Qua-ïs, kil chi tamam" me répond-t-il avec un grand sourire. Tout va bien en effet: On traverse le grand boulevard vers la place Sassine, à gauche, sur toute l'étendue de la place des Martyrs et de Riad El Solh, entourant quasiment et le Serail (gouvernement libanais) et l'ESCWA (QG des Nations Unies pour tout le Moyen Orient), les tentes du sit in de l'opposition (Hezbollah et CPL) sont toujours là depuis décembre 2006. A droite du boulevard suspendu, une affiche de 30 mètres de haut sur un immeuble criblé de balles et d'impacts de mortier depuis la guerre civile, ventant les mérites de l'armée libanaise. On y voit un soldat libanais courant avec une hanse au bout duquel est fixé un drapeau libanais, au milieu des ruines de Nahr el Bared, le camp palestinien au nord de Tripoli, dont il ne reste plus un bloc de béton debout après trois mois de combats.

De retour à Sioufi en pleine nuit, le quartier où j'habite près de la place Sassine, l'immeuble en face est en réparation. Je n'ai jamais su si il a été démoli suite à la guerre civile ou si sa construction a été arrêtée subitement suite à un manque de financement pour continuer. On n'avait trouvé rien de mieux que d'abattre, dès juin, les deux arbres qui se trouvaient devant cet immeuble et qui le masquaient avantageusement, sans compter le doux gazouilli des oiseaux qui en émanait en fin de journée. Trop poétique pour Achrafiyé, pas assez bétonné. Je vois encore le deuxième arbre tomber à moitié sur le toit d'une mercedes garée de l'autre côté de la rue. Y a du spectacle de mon balcon... Pas de fenêtres, un immeuble en délabrement total. Les travailleurs syriens habitent sur le chantier. Leur linge pend à un fil sur une des terasses, on devine des matelas posés sur le sol poussiéreux. Le marteau piqueur, en fait je devrais écrire "camion marteau piqueur avec un boutoir de 20 mètres de haut", commence son oeuvre dès 4 heure du matin, dans une chaleur moite. J'ai l'impression que ça n'embête personne, en tout cas, personne ne se lève pour faire la révolution. Bon c'est promis, demain j'achèterai un ventilateur pour rendre la chaleur supportable et chasser les moustiques la nuit, contentons-nous d'agir sur ce qui est à notre portée. C'est un principe essentiel pour la santé mentale à long terme.

Premier contact avec la rue le lendemain matin. Une dame entre deux âges me demande un peu plus loin, en passant, de lever le volet métalique de son commerce de vieilles freloques. Puis il y a les "next time" quand on n'a pas le compte juste dans un sens ou dans l'autre. C'est cela aussi le Liban, tout en convivialité. Il faut le souligner cent fois.

La folie de la circulation est toujours à la hauteur de la folie du pays. Les routes deux bandes se transforment facilement en voies trois files, unidirectionnelles, jusque quand un camion en sens inverse, en pleine descente de montagne dans un virage, klaxonne comme un malade à grand renfort d'appels de phare, et là, tout le monde se range. Je ne sais toujours pas comment trois files redeviennent une et demie en si peu de temps. L'improvisation est le stade ultime de l'organisation comme disait le grand Lubanovski, entraîneur du Dynamo Kiev dans les années 80. Cette scene aussi sur l'autoroute 2 bandes dans chaque direction, entre Beyrouth et Damour : une jeune fille de 25 ans, cheveux aux vents, fait du velo... en contre sens. Elle avait l'air tout a fait sereine. La question n'est meme pas de se demander si on peut faire du velo sur l'autoroute, mais si on peut le faire aussi en contre-sens. Et tous ces panneaux (sens unique, interdiction de stationner, etc...) qui n'ont pas la moindre signification.

Les transports en commun ont aussi leur lot de phenomenes etranges. Ce jour-la, je me suis trompe de direction en prenant le bus Ein el Rmeine - Hamra. Je ne m'en suis apercu qu'au terminus, bien que mon doute grandit en cours de route. J'ai donc traverse Sabra et Chatila a l'aller et au retour. A un moment, dans un tournant, en raison de la conduite un peu trop brusque du chauffeur, une dame plutot agee, glisse sur sa banquete et se pete la figure dans l'aller centrale. Je pense que le chauffeur etait presse a cause de l'iftar, la rupture du jeun pendant le ramadan. Indignation dans le bus, les gens lui disent de faire attention, et il est vrai que ca conduite donnait une sensation proche de la nausee. Le chauffeur, en guise de protestation, a decide d'arreter le moteur et de se croiser les bras, indiquant que si c'etait comme ca, il arretait de conduire ! Une autre fois, deux dames, assises derriere le chauffeur, lui donnaient des ordres quand a la conduite a adopter aux carrefours. Elles l'engueulaient lorsqu'il ne prenait pas sa priorite de droite ou lorsqu'il s'arretait aux feux rouges !

Place Sassine, un immense portrait de Béchir Gemayel, jeune, beau et souriant, pend là où, à mon départ, il y avait un poster 20 m sur 15 de la Sainte Vierge qui disait que Marie nous rassemble tous, avec une foule en dessous d'elle représentant vaguement les couleurs des principale formations politiques au Liban, le rouge (celui-ci étant partagé par le PSP de Jumblatt et les Forces Libanaises de Geagea), le bleu, le jaune, l'orange. Effectivement, on retrouve Sainte Marie dans l'Islam et les religions chrétiennes du Liban, avec quasi la même vénération.

Pourquoi Béchir Gemayel ? Mais parce que cela fait 25 ans que le frêre d'Amine Gemayel, ex-président du Liban et père de Pierre Gemayel récemment assasiné, avait été placé à la tête de l'Etat libanais suite à l'invasion d'Israël et avec la bénédiction des Etats Unis ! Quelques jours après, il était assassiné, probablement par les services secrets syriens ou alors était-ce le mossad ? Ou une énième vendetta ? Un téléphone portable aurait actionné une bombe de plusieurs centaines de kilo dans l'immeuble où il se trouvait en réunion. La rumeur aurait couru à l'époque qu'il n'était pas mort, qu'il était lui même sorti de l'ambulance qui l'emmenait en morceaux. Il reviendra.

Je donnerais cher aussi pour retrouver un témoin de l'apparition de Saint Charbel à Achrafiyé, en pleine bataille contre l'armée syrienne en 1977-78. Il serait apparu dans les airs, donnant aux combattants maronites une nouvelle vigueur dans la violence des combats.(1)

Et la question qui n'est pas de savoir si il est interdit de vendre du tabac à des moins de dix-huit ans, mais si il est permis au moins de douze d'en vendre. Ca c'est pas typique du Liban par contre.

Sinon, les chasseurs israéliens se balladent toujours librement au-dessus de la Beka'a. Il n'y a toujours pas de gouvernement d'Union Nationale. Olmert geint à tout va que le Hezbollah est plus fort qu'avant la guerre d'octobre. Il y a une campagne présidentielle qui commence en septembre. Et il me semble que le dernier rapport de la commission Brammertz sur le plasticage du convoi de Rafiq Hariri, l'ex-premier ministre, n'a pas livré de grands scoops. Je pense, enfin j'espère, que les enquêteurs de l'ONU se seront rendu compte qu'au Liban, la vérité n'est pas capitale. La vérité est éventuellement un instrument, bonne à répandre si elle sert le dessein de celui qui l'invoque.

Un artiste glandeur, style contemplateur de la réalité, m'a dit dans un anglais approximatif, ou est-ce moi qui reproduit approximativement :

All this can only have a tragical end.
I don't know man. (moment de silence)
Maybe the tragedy is just in my head.

Mais rassurez-vous, malgré tout cela, il est encore possible, sans se mettre d'oeillères, d'avoir une vie tout à fait normale dans ce pays et d'en apprécier ses bienfaits. Il faudrait juste que ça dure et peut-être faudrait-il que ce soit le cas pour un plus grand nombre de Libanais.

(1) Je n'ai trouvé qu'une seule mention de cette apparition, dans l'ouvrage de Samir Kassir, La Guerre du Liban, de la dissension nationale au conflit régional.

dimanche, août 19, 2007

Les satano-terroristes

Avec 400 morts causés par plusieurs camions piégés coordonnés, l'attentat d'il y a quelques jours sur la communauté Yazidi est le plus meurtrier de ce dernier siècle après ceux du 11 septembre 2001 aux Etats Unis. La plupart des annonces d'emplois de différentes ONGs, il y a encore quelques jours, stipulaient que le Kurdistan irakien était de "safe" à "pacifié". On peut se rendre compte que même là, et malgré la présence de 126.000 troupes américaines en Irak, c'est le chaos.

Il n'est pas clair si le but de l'attentat est, au choix, le départ des troupes américaines, une guerre sans nom, un acte raciste dirigé envers une communauté considérée à tors comme adoratrice de Satan. Quoi qu'il en soit, et si il fallait encore le dire, il montre le désastre absolu de la politique américaine en Irak, si l'on s'attarde, bien entendu, à des considérations humanistes. On attend le prochain "We are making progress in Iraq" de Georges W. Bush.

L'annonce par la Maison-Blanche de mettre les Gardes de la Révolution iranienne sur la liste (1) des organisations terroristes, est déjà décrite par certains comme un pas de plus vers le lancement d'une guere en Iran. Dans l'article sus-mentionné, il est rappelé le fait intéressant de la collaboration de la CIA avec les Pasdarans au moins à trois reprise dans un passé relativement récent.

Les Etats-Unis ne se retireront pas d'Irak d'ici tôt, le but est d'établir des bases militaires solides et à long terme, pour assoir sa puissance de projection sur toute la région du Moyen Orient, et accessoirement, de contrôler l'Iran. Cet objectif peut être atteint sans qu'il ne soit nécessaire d'envahir l'Iran. Quelle erreur également de tenter de lister un corps officiel d'Etat sur une liste d'organisations terroristes (2). C'est un pas vers la disqualification de la lutte effective contre le terrorisme, le blanchiment d'argent et toute sorte de traffics.

On a beau retourner la question dans tous les sens et il est quand même difficile de croire, impensable même, que les U.S. se lanceront dans une nouvelle guerre alors que l'Irak est toujours en train de flamber et que le feu en Afghanistan se réanime.

Quoi qu'il en soit, tout ceci fait partie d'une réthorique qu'on pensait appartenir aux albums de Tintin. On a d'un côté ces vilains barbus, brandissant l'index en l'air, traîtant les Etats Unis de Grand Satan, et de l'autre ces hystériques lançant des accusations de Terroriste à tout va, dans une ambiance proche de celle d'une cour de récréation. Qui utilisera en premier l'accusation de "Terroriste satanique" ou de "Satano-terroriste" ? Les paris sont ouverts...

(1) Dans cette liste du Departement d'Etat, question de timing probablement, on ne trouve pas le Fatah Al Islam, organisation proche d'Al Qaeda contre laquelle se bat l'armée libanaise dans le camp de Nahr El Bared, mais bien le Hizbollah. Le Fatah Al Islam, armée de libération sans doute....
(2) L'enjeu est politique et financier dans la mesure où tout business avec l'une de ces organisations est passible de lourdes sanctions aux Etats Unis.

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