samedi, février 16, 2008

Beyrouth - Mont Sinaï

Récit d'un trip réalisé du 28 décembre au 7 janvier 2008, du Liban au Sinai.

Objectif plage au soleil

Le garage principal des taxis de Damas a déménagé de Baramké vers l'extérieur de la ville, vers Mazzé. Au premier plan, la gare des microbus, plus loin, les bus et au-dessus, les taxis collectifs. Les deux fois où nous nous rendons à cette gare routière, jamais nous n'accèderons à la troisième étape, tant les taxis sont harassants et finissent par vous convaincre, avant même d'arriver à la station de taxis collectifs, de monter avec eux. On négocie en marchant et sac sur le dos, pas de perte de temps. Un taximan accompagné d'une jordanienne, parlant très bien anglais, nous emmène vers Amman. La dame a la langue fort pendue. On fera tous les magasins le long de la route en Syrie, s'arrêtant même pour laisser cette dame bavarde acheter une immense citrouille. Amman - Aqaba : un bus, non, une véritable chambre à gaz, la moitié des occupants fument. Impossible de respirer, et je suis déjà malade. C'est dur de voyager en étant malade. Grippe, la pharyngite pointe, puis ce sera les bronches. Il y a conflit dans le bus. Merde quoi, il y a des enfants, et des malades, et des enfants malades qui crachent déjà leurs poumons. Une mère de famille fume alors que sa petite fille est postée endormie devant elle ! Un conflit s'annonce entre ceux qui fument et veulent rester au chaud, et ceux qui n'hésitent pas à ouvrir les fenêtres, au risque d'avoir froid, mais au bénéfice de ne pas mourir étouffé. Un moment une petite bagarre éclatera même au fond du bus. L'un des protagonistes dit qu'il fait partie de la garnison, il se lève et va se plaindre chez le chauffeur. Un autre resté là demande qui est ce type. On lui répond : un moukhabarat (police secrète). Quelques-uns éclatent de rire. Ce cirque va quand même durer près de cinq heures. Les panneaux défilent dans la nuit. Petra sur la droite, Wadi Rum sur la gauche. On snobe. Avant Aqaba, contrôle des bagages, tout le monde doit sortir. On fera mine de ne rien avoir compris, on restera dans le bus. Et de fait, personne ne nous demandera rien. Trop exténué. Ca y est, j'ai la fièvre.

La raison de notre présence à Aqaba est que nous avons en point de mire le bateau qui assure la liaison entre Aqaba, Jordanie et Nuweiba, Egypte (Sinaï). En attendant, on prendra à Aqaba le repas de réveillon le plus frugal jamais pris. Tout d'abord, une soupe aux lentilles. Puis ce sera quand même un steak champignons pour moi et une sorte de byriani pour ma compagne. Du thé pour arroser le tout.

Nous sommes fins prêts pour cette traversée de nuit sur laquelle je reviendrai, car je veux m'assurer de la réalité de ce que j'ai vu, lors du trajet retour. Arrivée et sortie vers midi au port de Nuweiba. On sent maintenant vraiment qu'on est sur la Mer Rouge, l'air est doux, plein soleil et bonne température. On peut ôter nos pulls enfilés depuis le Liban. C'est quand même cool, à deux jours de voyage en bus, en taxi et ferry, pauses comprises, on a l'impression de passer de l'hémisphère nord à l'hémisphère sud. Le but de la journée est de faire de la plage et de faire quelques brasses dans la mer, ce qui sera fait. Repos dans les hamacs de l'un des camps de vacances des plages de Tarabin, non loin de Nuweiba. Un endroit que je connaissais déjà pour y être passé il y a deux ans pendant quelques jours. Le plus fort est que le personnel, toujours les mêmes têtes, s'est souvenu de moi avant que je ne leur rappelle. Je suis le fou qui est parti un jour seul à pied se perdre dans le désert du Sinaï !


Ein Khodra, le tourisme bédouin

Il s’agit, Ein Khodra d’une oasis sortie des roches du désert à la grâce d’un mince filet d’eau qui permet d’abreuver palmiers et chameaux. Un miracle de la nature. Il y aurait eu une scène biblique ici, mais je ne m’en rappelle plus.

C’est presque devenu à son tour un cliché que de dire ça, par rapport aux excès inverses d’antan, mais les Bédouins ne sont pas ces braves sauvages dénués de tout sens de l’intérêt et d’une philosophie de vie supérieure qui en fait des princes du désert sur leur cheval blanc. Ce sont des gens qui comme vous et moi doivent s’en sortir, et donc trouvent leurs propres stratégies. Ceci sans nier le fait que les bédouins dans le Sinai ont une histoire particulière. Certains descendant vaguement de macédoniens venus un moment pour protéger le monastère Ste Catherine, lieu saint de la religion Grecque Orthodoxe, mais indépendant de l'Église du même nom. Le "guide suprême" de la secte est en même temps le chef spirituel et temporel du monastère et s'appelle le "despote". L'histoire des bédouins du Sinai se mêle aux multiples monastères que l'on trouve dans toute la région. En partie. Pour le reste, des tribus nomades ont laisse des familles ici et la, qui venant de Transylvanie ou de la péninsule arabique, ou encore d'Egypte. Je n'avais pas pris attention a cela lors de mon premier passage, encore la langue, mais des bédouins que le Sinai, ce n'est pas l'Egypte. Lorsque les Israéliens pouvaient sillonner celui-ci a loisir, ceux-ci n'y ont vu aucun inconvénient dans la mesure ou cela faisait marcher le tourisme. L'Egypte, ce sont les mesures administratives et contraignantes du Caire. Ce sont les plans de mise en place d'un tourisme de masse, avec des prospections de développement avec des millions d'emploi a la clef... pour les Egyptiens, qui n'éprouveraient aucun respect pour la terre ancestrale et encore largement inexploitée du Sinai. Il faut se méfier, car bien souvent, un "bédouin" cache un Egyptien, il suffit d'un keffieh rouge et blanc, d'une galabieh, d'un pseudo-discours axe sur la nature et "la vie simple" et ça peut le faire. Mais on les repère assez vite ces charlatans.

Le fait de parler l’arabe ouvre quand même tout un univers que je ne pouvais même pas questionner lors de ma première venue dans le Sinaï. Comme sur le modèle économique. Les enfants vont à présent à l’école. La plupart d’entre eux vivent dans des maisons en dur, en marge des villes. Ici, beaucoup viennent pour accompagner les touristes et redonner un semblant de vie traditionnelle aux lieux. Mais si on regarde bien, il n’y a quasi aucune maison, ni tente, ni quoi que ce soit. Un préau qui sert à abriter les quelques touristes qui passent en ce moment de la saison. Le pain par exemple, est fabriqué à partir de farine, d’eau et de sel, voir ici. Mais jamais le blé n’a été cultivé en cet endroit du désert, il vient tout simplement du supermarket de la ville la plus proche. Ce que j’ai apprécié, c’est qu’en les questionnant en arabe, le couple qui nous a pris en quelque sorte sous leur coupe, ne faisaient absolument aucun mystère sur leur mode de vie, le besoin économique de trouver de l’argent pour se payer un véhicule ou envoyer les enfants à l’école. Aucun bobard. Leur boulot, c’est accueillir le touriste que des camps et hôtels de la région leur envoient à travers des voyages semi organisés. Et leur montrer ce à quoi a du ressembler le fonctionnement d’une oasis, Ein Khodra, à une époque où elle était autarcique. L’économie n’est plus du tout la même. Il y’a d’une part le remplacement des caravanes, l’une des premières sources de revenus, remplacées par la route. L’élevage n’est plus ce qu’il était et les besoins, au contact de la ville, se sont étendus, demandant plus de ressources.

Ceci n’empêche pas la franche hospitalité. Alors que Salmaan nous raccompagnait au camp dans sa jeep, après 60 km, et nous avoir attendu de longues heures alors que nous marchâmes à travers le white canyon pour le retrouver, il nous invita à passer chez lui à la nuit tombante pour prendre un thé avec sa famille dans sa confortable maison de la banlieue de Nuweiba City. Sa femme et ses enfants étaient absolument adorables, d’une beauté extraordinaire. Il y avait dans cette maison je ne sais quoi de doux et d’apaisant. Une chouette famille comme on peut en trouver partout. L'idée que nous avions fait, par la terre, le Liban - Cham (Damas) - Amman - Aqaba - Nuweiba avait l'air de leur procurer un sentiment mêlé d'amusement, d' admiration et, qui sait, d'incompréhension. --

Allez, on se fait le Sinaï puis on s’en va

Le lendemain, départ pour Ste Catherine. Stop sur la grand-route. Un jeune d'à peine 15 ans s'arrête et s'improvise taximan. Il nous conduit au port. Pas de bus, trop tard pour aller à Dahab. Le guide dit 35 EP par personne en taxi collectif, compter le prix fois 7 pour un taxi privé (7 places). On s'en tire, avec la dramatisation et les faux départs, à 150 EP (quand même 21 euros pour 140 km). Vu le degré de contentement des chauffeurs, tels des collègues de bureau qui auraient tiré un 5 + numéro complémentaire au Lotto, après 20 ans de mises collectives hebdomadaires, on se dit qu'on aurait pu descendre plus bas encore, mais voilà.

C’est la deuxième fois que je viens au Mont Ste Catherine, ou plutôt, autour du monastère, et pour des raisons obscures, il ne m’a jamais été possible de le visiter. En fait, le passage du Désert de Pierre Loti parlant du monastère m’a fait très envie de le visiter, mais là, on est arrivé le mauvais jour. Il eut fallu en fait se lever pour les matines à 4H (ou à 6H) et il y avait moyen de s’infiltrer parmi les fidèles des lieux. Mais on s’est gouré dans l’heure.

Montée fort agréable du Mont Sinaï par la route des chameaux, pente doucement inclinée, il fait beau. La descente s’est faite par les escaliers que je n’avais pas trouvés la première fois, pensant à l’époque que les quelques escaliers qui accompagnaient ci et là la route des chameaux étaient cette fameuse œuvre laissée, à flan de montagne, par quelques moines fort motivés. Et bien, rien à voir. Les escaliers dont il est question sont des escaliers de géants ! Quelque chose comme 3.000 marches. Des blocs de pierre, taillés, déplacés et ajustés pour faire office de jetée, de tremplin, de pont à des endroits qui surplombent parfois quasiment un ravin. On a fait la grave erreur, qui aurait pu être fatale, de commencer la descente alors que la nuit allait pointer, en solo et sans lampe de poche. On pensait que ça irait plus vite. A ne pas faire. Mini-chutes, écorchures, frayeurs. Un air de flûte a accompagné un moment notre descente. Il provenait du fond de la vallée. Un air irritant, on aurait dit, joué par quelque scout sous sa tente. Il s’arrête, il recommence. Puis du bruit dans l’obscurité devant nous, on s’arrête. On continue. L’air de flûte recommence. Il s’arrête. La profondeur de la vallée, le froid tombant, donne un air sinistre à ce son venu de nulle part. Nous arrivons enfin en bas. Quand tout à coup, je me rends compte, à la lueur artificielle qui borde le Monastère, que ce son ne venait pas du fond de la vallée, mais était émis par un joueur de flûte bédouin qui marchait dans le noir, à une dizaine de mètres devant nous.

La mosquee au sommet du Mont Sinai.

El Abbarah (le ferry)

Il faut partir tôt, mais voilà, on ne se réveille pas à temps, et on est condamné à relouer un taxi complet pour le retour, faute de candidats. C'est fini le tourisme téméraire des gens qui s'amenaient les mains dans les poches au Mont Sinaï depuis le port d'accès de Nuweiba. Maintenant, tout le monde arrive en charter et loge à Sharm El Cheikh, prend une excursion d'un jour et bye. C'est vraiment regrettable. Un taximan qu'on avait rencontré la veille nous dit qu'il nous attend depuis 1 heure ! Bon on ne lui a rien demandé et on lui indique qu'on en a pour 5 minutes. On s'en va par "une porte dérobée". Le mec nous rattrape en taxi un kilomètre plus loin. Il nous dit : "Où étiez-vous parti ??" avec un air de reproche comme si nous avions assassiné ses frères et soeurs. Je lui dis : "Mais, on t'a cherché, mais on ne t'a pas vu !". "Non?", "Oui?", "non!", "Oui!". Bon, peu importe, le gars nous demande (le comble) de trouver 4 autres personnes pour aller à Nuweiba, sinon c'est tarif plein. Malheureusement, personne ne va à Nuweiba. Il faudrait retourner à Dahab, et peut-être, de là, trouver un service vers Nuweiba. Très aléatoire. Je ne sais pourquoi, mais mauvaise foi aidant, je n'ai pas daigné me rendre à Al Milga, le village d'à-côté, comme me l'avait indiqué de prime abord ma compagne. C'est sans doute là que résidait la clef... En attendant, le premier taximan, celui qui, malgré tout, m'avait assuré que j'étais comme son frère, repasse avec 4 touristes pour Charm El Cheikh. Il a quand même le bon goût de s'arrêter, le temps que je lui dise "Va et que Dieu t'accompagne", variante de "Fous le camp et disparais de ma vue".

Je n'ai pas décrit la traversée de l'aller, me réservant pour le retour, pour être sûr de bien avoir vu ce que j'ai vu, et de ne pas avoir halluciné. Comme à l'aller, les préparatifs sont sans fin. Deux heures après l'heure de départ officielle du bateau, des bus continuent à déverser des files de voyageurs qui sortent de nulle part. En effet, lors de la prise de notre ticket à Aqaba, au bureau central de la compagnie Arabic Bridge (Jisr al-Arab, Le pont des Arabes), nous avions eu l'impression d'être les seuls à prendre ce bateau, car à part nous, personne manifestement n'était venu prendre de ticket avant nous. Pour preuve, le premier préposé du bureau nous avait dit, à l'aller, que le bateau partait à 23H. A notre second passage au bureau, le boss nous a dit dans un premier temps que le bateau partait à 22H, avant de donner un coup de fil et se faire dire que le départ du bateau était prévu à 1H du matin. On se dit alors que visiblement personne ne prend ce bateau, sans doute est-ce le fait que nous passons la nuit du nouvel an, entre autre explication aléatoire. Sous le ton de la plaisanterie, je demande si il y aura du champagne à bord. Le patron du bureau lève la tête et fait claquer la langue comme signe de négation. Il nous dit en plaisantant qu'on doit apporter son champagne.

Lors de notre arrivée au port un peu après minuit, le choc. On se trouve nez à nez avec une marée humaine. Des gens attendent partout avec armes et bagages. Des groupes sont constitués partout, sans logique apparente. Des grappes humaines attendent sous les abribus, qui ne voient pas passer de bus. D'autres attendent en groupe près des grilles qui donnent sur les quais, d'autres attendent en file pour passer une porte un peu plus loin sur la grille. Je risque un oeil auprès d'une cafétéria en plein air pour trouver le chauffeur du bus garé tout près. Ce bus est marqué du sigle de la compagnie auprès de laquelle nous avons acheté le billet. C'est la seule compagnie qui assure la liaison. Je n'identifie pas le chauffeur. Pendant ce temps, une centaine d'hommes regardent un match de catch à la télé dont l'un des combattants est habillé en Père Noël. Après coup, je me rends compte du caractère déjà surréaliste de la scène, et ce n'est rien par rapport à ce qui suivra. Tout le monde attend, mais quoi. Il n'y a pas une once d'impatience dans l'assemblée. Un détour aux guichets dans le hall de départ me donne l'occasion d'enjamber des familles qui prennent un repas tardif à même le sol, ou des gens qui dorment. Là aussi il y a des gens partout. Mais combien serons nous sur ce bateau ? 1500 ? 2000 personnes ? Le guichetier nous annonce une heure approximative de départ : 4 heure du matin.

On comprends vite que l'ambiance ne sera pas faite de champagne et de cotillons, loin s'en faut. L'écrasante majorité des passagers est faite d'Egyptiens, soit qui travaillent en Jordanie, soit plus loin dans la péninsule arabique, Arabie Saoudite pour la plupart. Nous avons affaire à une horde d'esclaves en somme. Ou alors quelques retardataires qui reviennent du Hajj, le pèlerinage à la Mecque et qui n'ont pas les moyens de se payer un billet d'avion. Je vois encore ce vieux en sandale, monter un à un les escaliers qui montent aux ponts supérieurs du bateau avant le départ, en jalabyié (robe blanche), avec sa canne, et tenant dans son autre bras, posée sur son épaule, sa jerricane d'eau purifiée ramenée de la Mecque. En grande majorité, ce sont des gens pauvres, souvent paysans. On se demande alors où tous ces gens ont été chercher leur billet ? L’explication la plus plausible est qu'il n'y a pas vraiment d'horaire. Les voyageurs arrivent au port, s'y installent, achètent un billet directement au guichet, et attendent l'arrivée du bateau suivant. La seule certitude est que l'attente ne durera pas plus de 24H car quand même, il y a un ferry par jour.

Une fois sur le bateau, donc, on n'est pas au bout de sa patience. On a l'impression que mille préparatifs ont lieu, le chargement des camions, les bagages, les gens, ça remue dans tous les sens, ça s'agite. On prend une heure, deux heures, trois heures de retard. Et le bateau n'a toujours pas bougé. Allongé dans un demi-sommeil sur une banquette de ce qui devait être un restaurant première classe au temps où ce bateau voguait entre les îles grecques, et maintenant délabré, je suis réveillé en sursaut par le Allahou Akbar dans les hauts parleurs. C'est l'heure de la prière, il est 5 heures. J'ai l'impression que ça correspond au signal du départ du bateau. Tout le monde est rentré, tout est en ordre, tout le monde est prêt. Mais avant de partir, on s'en remet quand même à Dieu, on ne sait jamais. Au retour ce sera d'ailleurs pareil, le bateau ne partira pas avant la prière, cette fois celle du Maghreb, à la tombée du jour un peu après 17H30, là aussi pour un départ prévu à 15H. On vit vraiment au rythme des cinq prières par jour. A midi, alors que nous pensions être à la bourre et voyant le ferry amarré au bout du port au loin, les policiers à l'entrée du port nous demandaient de patienter en attendant que le muezzin finisse son appel à la prière depuis la mosquée voisine. Tout doit s'arrêter le temps de la prière. Puis tout reprends son cours. Comme une immense machine qui régit l'activité et dont quelqu'un presserait un levier on/off. Retour sur le bateau.

La salle principale intérieure offre un spectacle apocalyptique. Comme me le fera remarquer ma compagne de voyage, c'est un peu comme si on avait ouvert les portes d'un grand restaurant parisien à une horde de bédouins. L'anarchie est complète. Comme si on se trouvait au milieu de gens issus du moyen âge dans un décor du XXe siècle (ce bateau porte bien son âge également, du reste). Les sanitaires suivent rapidement la marche générale. Il faut enjamber, prendre des détours. Les familles sont entassées les unes sur les autres. Des dormeurs sont allongés dans tous les sens et dans des positions inimaginables. Il y a un brouhaha continu. Des groupes picniquent par terre comme si leurs membres se trouvaient au milieu d'une prairie au printemps. Et tout cela, le plus fort, dans un sentiment de normalité la plus totale qui soit.

Au total, pour un trajet en mer qui doit prendre 3 heures, si on compte les deux heures d'avance qu'il faut prendre avant le départ officiel du navire, puis les deux à trois heures d'attente à quai en attendant le départ et l'heure d'attente inexplicable avant le débarquement faisant suite à la mise à quai à l'arrivée, on approche des dix heures pour un trajet d'à peine... 50 km en mer. Yes, 50 kilomètres, dans des conditions indignes. Le pont des arabes, trajet de 10 heures pour contourner Eilat, embouchure israélienne minuscule sur la Mer Rouge entre la Jordanie et l'Egypte.

Plongé dans ces quelques réflexions sur le trajet retour, apparaît devant moi une petite femme, la quarantaine. Elle est russe. Je pensais que nous étions, Florence et moi, les deux seuls étrangers sur ce bateau. Elle m'est apparue comme au beau milieu d'un rêve comme pour me rappeler à la réalité.

- combien avez-vous payé pour venir sur ce bateau ? me dit-elle.
- 40 dollars... il est vrai que le billet coûte plus cher en le prenant en Egypte et...
Je pensais que c'est là qu'elle voulait en venir. L'aller-retour coûte moins cher si il est pris de Jordanie.
Mais ce n'est pas là où elle veut en venir. La voix sanglotante, elle me dit :
- c'est inacceptable. Dans un standard international, pour ce montant, vous avez droit à une cabine. Vous avez vu ce bateau ? C'est une véritable poubelle, pire, une épave flottante. Les toilettes sont impraticables, elles débordent littéralement. Regardez-moi ça. Dans mon pays, qui est pourtant cher, ceci serait tout bonnement inacceptable.

Elle lève les yeux sur la masse de monde entassée n'importe où et jette un regard de dédain, de haine presque. C'est vrai que ce n'est pas beau à voir. Tout le monde paie au moins 40 dollars, je fais un rapide calcul et me dit qu'un armateur véreux se fait au bas mot 50.000 euros x 2 par jour tout en n'investissant pas un franc dans l'accueil des passagers et, je n'ose pas le croire, dans les conditions de sécurité applicables pour de telles traversées. Je me souviens il y a deux ans du naufrage d'un pareil ferry au large d'Hurghada sur la mer rouge. Mille morts par noyade. Le gouvernement chassant les familles de victimes venues demander des comptes à Hurghada, et au bord de l'émeute, en coupant l'eau et l'électricité de la ville. La femme continuera son chemin et disparaîtra comme elle est apparue.

Arrivée le soir à Aqaba. Ca va mieux aussi, l'air du large m'a fait du bien. Le retour se fera par le même chemin : Amman, Damas, puis le Liban.

1 commentaire:

dimsum a dit…

j'ose plus me plaindre de la stib...:-)

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