samedi, mai 13, 2006

S'échapper de l'Iran

Tabriz, Iran - Les Iraniens m'aiment tellement qu'ils ne ne veulent pas me laisser quitter le pays. Trois heures de psycho-drame au poste frontière iranien à Astara n'y ont rien fait. Je dois posséder un visa azeri dans mon passeport pour me présenter au poste frontière de l'Azebaidjan, 50 m après la sortie du batiment qui fait office de poste frontière terrestre. Curieuse ville que Astara. Une ville coupée en deux par des grillages de 3 m de haut, garnis de barbelés, et interrompus par quelques miradors. On sent néanmoins que cette frontière est friable, qu'il doit y avoir maints traffics en tout genre dans les caves, la nuit, avec la bénédiction ou non des garde-frontière. Il faut traverser un terrain vague au fond d'une ruelle couverte de boue pour se présenter aux douaniers. Mais je ne suis que touriste, et malgré ma lettre d'invitation azerie, malgré que mon contact à Bakou m'a répété que pour un citoyen de l'Union Européenne, il n'y a pas de problème pour obtenir le visa au poste frontière, la douane iranienne décide des règles douanières applicables pour d'autres pays. Enfin, j'exagère un peu, sans doute que cet état de fait est-il conséquent à un accord entre les deux pays. Celui qui emprunte les frontières terrestres comme cellle que j'ai pu voir à Astara, observera que les gens qui y transitent sont des ouvriers, des paysans, le peuple. Je fais la grève dans le hall de sortie de la douane. Les douaniers ferment toutes les issues, il est 19H, la frontière ferme. De la mezzanine en haut, des soldats invisibles s'amusent à m'imiter en criant que eux aussi ils veulent aller en Azerbaidjan.

Retour Tabriz


Bureau des affaires étrangères à Tabriz, Iran - Tout se passe au deuxième étage. Une femme sort du bureau en pleurant. Elle se tient le sein gauche. Ca va mal. Je rentre. Une Turque explique son cas à l'officier, et cela n'a pas l'air commode. de l'autre côté du bureau, le commandant de fonction semble écouter attentivement ce qu'elle dit. Tout est vert dans cet office. Les stores sont verts, les vitres qui séparent les bureaux sont vert-eau. Même la chemise du commandant est verte. Et lui-même a le teint vert. Les autres couleurs sont neutres : les boiseries et le gris des dalles par terre. Le téléphone est rouge, seul point de couleur chaude de la pièce.

- Salaam Aleikoum !
Le commandant vient de décrocher une nouvelle fois et donne ses instructions avec autorité. Un commis entre à plusieurs reprises. Il vient parler à l'officier avec un sourire qui veut dire : "Oui, je suis stupide, pardonne-moi Commandant, dis-moi ce que je dois faire". C'est tout juste si il ne fait pas une courbette à chacune de ses entrées. Il y a un proverbe iranien qui dit quelque chose comme : "Si tu ne peux mordre la main qui se tend devant toi, baise-la en attendant que le ciel, dans son incommensurable bonté, n'inverse peut-être un jour les rôles". Et j'ai vraiment l'impression que toute la fellonie ou le pragmatisme de ce proverbe, se trouvent dans l'expression du commis. Le commandant répond, son sourire est sarcastique, son ton semble dire : "Tu n'es vraiment qu'un imbécile mon ami, fais ceci et fais cela et disparait de ma vue". C'est au milieu de ce dialogue en maitre et servant qu'un Français vient s'installer sur mon invitation auprès de moi. Il vient du Pakistan et est là pour demander également une prolongation de visa. J'en suis à ma deuxième prolongation après le visa de base. Et on n'aime pas cela en Iran et nulle part d'ailleurs. C'est suspect. Pourquoi ce type avec un visa de 7 jours non-prolongeable à la base vient demander une deuxième prolongation, ici dans mon bureau, à Tabriz. C'est pour m'attirer des ennuis à Teheran si quelqu'un s'en apperçoit, doit se dire la petite voix intérieure du commandant. Après un délai de réflexion, il m'accorde ce privilège et nous fait payer tous deux les 10 dollars requis, je pense que la présence d'un autre touriste a facilité les choses. A l'enlèvement du visa quelques heures plus tard, le commandant nous demande 3 dollars en plus et montre qu'il s'agit des "frais de dossier". Je m'insurge. Il nous dit que que quoi, nous sommes touristes, que nous faisons tomber les dollars en cascade, et quoi ? Je lui fais comprendre que mes dollars servent à payer les hotels, les taxis, le manger et la culture iranienne, pas la police. Depuis Astara, je suis déterminé à ne plus rien lâcher, même sur des montants dérisoires. Et je lui montre que je n'ai pas un rial pour lui. Le backsheesh tombe de 3 dollars à 30 cents. Mon collègue français "avance" l'argent pour moi. Le commandant me demande de lui rappeler ma nationalité, je lui dit que je suis Français pour rigoler. Et le voilà en train de maudire tous les Français du monde devant les yeux choqués de mon bon samaritain. Visa prolongé en main, il faut que je quitte l'Iran, c'est maintenant une nécessité. Je n'attendrai pas le bus de nuit qui relie Tabriz à Yerevan en Arménie.

Une frontière comme la frontière irano-arménienne, ça doit se faire à pied. Et en taxi. Chauffeurs de taxis, bandits, voleurs, vous ne m'aurez pas. Un premier m'a emmené de Tabriz à Jelfa. Il m'avait promis Noghdooz, à la frontière. En cours de route c'est devenu Jolfa, à 60KM de ce qui avait été convenu. Et bien tiens, je retranche la moitié du montant qui a été convenu, et tu as beau t'énerver et ameuter tous tes potes de Jolfa, c'est égal. de Jolfa à Naghdooz, c'est plus compliqué. Un taximan iranien, ou plutôt azeri, professeur de volley-ball, de tae-kwan-do et de karate, style armoire à glace, me prend en charge. Il me promet un terminal de bus qui n'existe pas et m'emmene vers Naghdooz. Beaucoup plus difficile de négocier. Il crie dans mon oreille, il me fait des tappes dans le dos à vous mettre la tête dans le tableau de bord. Ou alors des coups de coude dans le biceps à vous donner des bleus. Le tout avec un grand sourire. "Iran good hein ?!". Paf ! Un militaire pris en route déclare forfait et se fait débarquer 10 km plus loin. Les paysages sont splendides ceci dit. De la montagne, on longe une rivière. L'azerbaidjan est sur la rive gauche. Et l'Arménie devant nous. L'Arménie, que j'ai coeur d'y arriver en ce moment précis... Dix kilomètres avant la destination, après je ne sais combien de coups sur les biceps et sur l'épaule, le chauffeur me débarque à mon tour. Je ne suis pas assez communicatif. Il arrêtera deux camions. Le premier l'envoit au diable. Le second s'arrête et demande d'où je viens. Le con répond que je suis Français. Le cammioneur fait mine de continuer, je gueule de désespoir. Intrigué, il s'arrête quand même. Je monte finalement dans son camion. Le camionneur, un gars de Tabriz, rigole et me fait comprendre qu'ils sont tous fous dans le coin. Il s'attire évidemment ma sympathie. Je lui montre que je veux lui payer pour le trajet, mais il n'en est pas question. Après quelques lacets dans les montagnes et des côtes péniblement montées en première vitesse, il me débarquera au poste frontière de Naghdooz, enfin. Le jour tire vers la fin.

Les photos de mon appareil digital seront revues au crible. Personne ne franchit cette frontière à part des camions, à la limite quelques Azeris et quelques Russes perdus, ce que d'après mon aspect j'aurais pu être à la limite, or je suis Belge d'après mon passeport. La rivière Aras Rud constitue la frontière naturelle entre l'Iran et l'Arménie. Un pont de deux cents mètres sépare les deux pays. Au milieu du pont, à pied, je me retourne, pour me recueillir et regarder une dernière fois la république islamique sous le coucher de soleil. Je vois encore ces deux soldats iraniens, à 100 m, faire des bonds et de grands signes de ficher le camp et de surtout ne pas me retourner. Voilà qu'il y a cinq jours, leurs collègues ne voulaient pas me laisser partir d'Iran, et qu'eux me forçaient à partir en courant. A l'autre bout du pont, une cabane, je surprends les deux gardes, l'un a le look slave, cheveux blonds rasés, yeux bleus. L'autre est brun, grand, teint blanc aspirine et la mèche soigneusement rabattue sur le front. Je viens de passer une rivière qui sépare deux planètes. Ils n'ont visiblement jamais vu un touriste occidental passer là à pied. Surpris mutuellement, nous rions de bon coeur tous les trois.

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