jeudi, mai 04, 2006

Au coeur de la Republique Islamique

Tehran, Iran - En quelques jours, je visiterai les lieux les plus symboliques de la Republique Islamique d'Iran.

Il y a Isfahan d'abord, au coeur de l'actualite. Lors de mon passage, deux Suedois ont ete arrete d'apres la gazette, soupconnes d'espionnage. Sans doute ont-ils voulu aller photographier l'un de ces sites pour le fun. En fait, il s'agit d'installations militaires sur l'ile de Quesm en face de Bandar-Abbas. Aux dernieres nouvelles, ils sont toujours en Iran a l'ombre. Je pense que tant les interesses que la diplomatie norvegienne preferaient regler l'affaire dans la discretion http://www.isria.com/fr/fichiers/2006/05/000039.htm Ensuite le pote indien d'un norvegien que j'ai rencontre s'est fait expulser du pays car il faisait du journalisme sous couvert d'un visa touristique pour le compte d'un web-zine. Ce blog aussi aurait pu me valoir mon expulsion, mais je prends soin d'ecrire les trucs sensibles une fois que j'ai quitte ce pourtant formidable pays.

sculpture à meme la roche representant l'Imam Khomeiny - Shiraz, IranQuelques jours plus tard je passerai une apres-midi a Qom, avec un etudiant en mathematiques. Histoire de voir comment ca se passe sur un campus universitaire en Iran. L'ambiance y est tres studieuse, loin du joyeux bordel qui regne sur nos campus. Ce qui fait rever certains etudiants rebelles, c'est la periode du shah, normal, ils n'etaient pas encore ne. Dans le logement de Mohammed, des photos sont affiches sur l'interieur de la porte de ses armoires fermes a double tour, montrant tel ou tel general de la periode pahlaviste. Je suis surpris qu'une figure telle que Mohammad Mossadegh ne fait pas l'objet de plus de fascination aupres des jeunes. 1er ministre a la tete d'une coalition communiste et nationaliste, soutenue par les Islamistes a l'epoque, qui a ordonne la nationalisation du petrole (de la Anglo-Persian Oil Company) et renverse par un coup d'etat en 1953 soutenu par les anglo-americains replacant le Shah au pouvoir qui va imposer une dictature inouie pour son come-back. Les americains reconnaitront par Madeleine Albright sous l'administration Clinton le role joue par les US dans ce renversement, coup de main portant le nom 'operation Ajax'. Bizarrement, les quelques resumes historiques officiels que j'ai ete amene a lire font table rase de cette periode et du personnage de Mohammed Mossadegh. Meme les guides n'en parlent pas, comme si entre le Shah 1ere mouture et la revolution Islamique il ne s'etait rien passe. De meme, les quelques bouquins trouves au mausolee de l'Emam Khomeiny font penser a un combat heroique de l'Ayatollah, seul contre tous. L'Ayatollah ne d'ailleurs a Qom, ce qui nous ramene au sujet.

Qom est decrit comme etant pour cause le veritable centre politique de l'Iran, a deux heures au sud de Teheran. Siege de la revolution islamique de 1979, de nombreuses pages ont ete ecrites sur les premiers soulevements ecrases dans le sang, et je retranscris ici l'histoire officielle : repression visant a empecher les croyants de celebrer les ceremonies des martyrs, tenue chaque annee et qui permet de prier les martyrs passes et actuels, a commencer par le martyr Hussein. 'L'idéologie chiite du martyr est fondée sur le personnage central de Hussein, petit-fils du prophète Mohamed. Les chiites pensent que celui-ci aurait dû succéder au prophète, après la mort de son père Ali. Une querelle a éclaté entre les descendants du prophète et la dynastie des Omeyyades, que les chiites accusent d'avoir usurpé le califat. Au 7e siècle, ce conflit a dégénéré et finalement provoqué un schisme de l'islam semblable à celui qui a divisé les catholiques et les protestants. Une bataille a eu lieu à Kerbala, sur les rives de l'Euphrate, en Irak. Hussein et ses 72 partisans ont affronté une puissante armée mobilisée par les Omeyyades. Yazid, le chef des Omeyyades, voulait forcer Hussein à lui prêter serment d'allégeance et à se soumettre à son autorité en qualité de calife de l'Islam. Hussein a refusé. Il a été tué sur le champ de bataille et décapité. Sa tête, montée sur un pic, a été exhibée à travers les villes et les villages, pour être finalement déposée aux pieds de Yazid.' (source : http://radio-canada.ca/actualite/zonelibre/03-07/hezbollah.html). Hussein et ses 72 kamikazes resistant et preferant mourir que de se rendre aux milliers de soldats Omeyyades. C'est la repression a l'egard de cette ceremonie qui aurait mis le feu aux poudres de la revolution de 1978-79. Cette fresque est evidemment au coeur de la revolution islamique et de la guerre Iran-Irak qui lui succedera immediatement.

C'est dans cette ville universitaire que sont formes les Mollahs et futurs Ayatollahs qui assureront la bonne marche de la republique islamique. Qom m'est sommes toutes apparues une ville comme les autres villes iraniennes, en legerement plus conservatrice, quoique en comparant avec Yazd et Mashhad... Mashhad ou je me rendrai quelques jours plus tard, a l'ouest de l'iran a la frontiere Turkmene et a une centaine de kilometres de l'Afghanistan. Effectivement on y croise pas mal de paysans afghans, perdus en Iran. On lit sur leur visage qu'ils sont deboussoles, pas a leur place. En attendant de meilleurs jours ou un rappatriement force du regime iranien. Dans le bus entre Teheran et Mashhad, j'aurai un voisin, costume traditionnel afghan, barbe, visage ferme. Apres 10H45 de trajet (sic), il m'adresse la parole. Il est afghan. Je ne saurai rien de plus. Masshad est un lieu tres important dans la culture chiite. On y trouve le mausole du 8e Imam du de la religion chiite, l'Imam Reza, considere comme le pere de tous les imams. Icı des cars de retraıtes et de plus jeunes affluent par centaınes.

Toujours dans ce tour des lieux sacres, il y aura la visite du mausole de l'Emam Khomeiny dans la banlieue sud de Teheran, immense construction de batiments embrassant une grande mosquee. C'est un peu l'equivalent de Lourdes en chretiente. On y vient pour esperer des miracles. On ne s'y bouscule pas particulierement. En empruntant le metro, deux personnes m'ont demande en des termes differents ce que j'allais faire la-bas. J'ai dit que cela fait partie de l'histoire de l'Iran, ce lieu compte dans l'histoire des gens non ? Le deuxieme m'a repondu en me montrant la rame de metro : 'Les gens, ils sont la.'

Martyrs are the candles of the friends agora - Isfahan, IranEt pour terminer par le non moindre de ces lieux symboliques (je vous rassure, je ne les ai pas fait l'un a la suite de l'autre, je les rassemble sous le meme article...), le cimetiere militaire de la guerre Iran-Irak. Un million de morts,
tombes pour l'iran et pour la revolution. Voila les tombes des martyrs, dont les visages sont affiches en grand dans toutes les villes d'Iran et les noms donnes aux rues et places des toutes les villes et villages du pays. De mes 8 ans a mes 16 ans, je me souviens de ces images a la television (c'etait souvent la meme montrant un lance-roquette mobile tirant des eclairs vers on ne sait ou), des journaux, des chiffres, des tentatives de reglement du conflit, sans cesse ajournees. Plus tard je comprendrai le soutien occidental et meme sovietique a l'Irak (oui le meme Irak du meme Saddam). L'usage de gaz de combat, les guerres de tranche, les armes chimiques utilisees par Saddam, la superiorite technique militaire de l'Irak face aux milliers de soldats iraniens envoyes avec fusil et baionnette a la boucherie.

En arrivant en Iran, j'ai cru innocemment que les quelques mots et phrases d'arabe acquis pourraient m'aider. Et bien non. Je pense que beaucoup d'Iraniens connaissent la langue arabe. La plupart ont lu le Coran dans sa langue originale. Mais la rancoeur est tenace, on re-exhume en plus les anciens conflits au-dela du dernier en date, 'l'avilissement de la civilisation perse par les barbares arabes', ce n'est pas une vaine formule aupres des jeunes en mal d'idendite. J'ai rencontre pas mal d'Irakiens refugies, notament dans le nord. Quel drame pour eux. Avant-hier soutenus par les americains, hier chasses par ces memes americains par l'anarchie qu'ils y ont seme, aujourd'hui perdus en Iran et detestes par les populations du pays d'accueil. J'espere qu'en parlant de l'hospitalite arabe, des populations que j'ai croisees, de la fierte et de l'honneur du peuple yemenite par exemple, j'ai apporte un tout petit autre chose que cette haine ancestrale.

Que tirer de tout ceci ? Ou en est la revolution islamique ?
Ceci n'est evıdemment pas une these ni un article de journaliste et n'a pas de valeur fondamentale. Ce ne sont que des ımpressions. Et si elles soulevent le debat, tant mieux.

Elle me semble etre en perte de vitesse ıdeologıque, malgre les gesticulatıons du gouvernement sur la scene internationale. Surtout evidemment aupres des jeunes. Le faıt religieux n'en reste pas moins tres ımportant mais ce n'est pas de cela dont il s'agit.

Premierement voici ce dont un ami me faisait part recemment.

'L’Iran, contrairement au apparences, est un pays “démographiquement” calmé et très moderne. Sont point critique remonte à 1975-1980, époque de la révolution. A cette époque, l’alphabétisation était en train de se massifier, (...) l’indice de fécondité iranien à l’époque était entre 4 et 5 enfants par femmes, (...)30 ans plus tard, le chemin accompli par l’iran est surprenant et en un sens admirable: 95% d’alphabétisation chez les hommes et 88% chez les femmes (...). Plus surprenant encore: l’indice de fécondité est tombé en dessous de 2 enfants par femmes (taux de renouvellement des générations) depuis 2004!!!!! Une chute ininterrompue et vertigineuse en moins de 30 ans. (note: 6,8 en 1980) C’est absolument ahurissant vu que Arabie Saoudite, Irak, Afghanistan, Pakistan, Jordanie et Syrie sont encore au dessus de 4. Ce chiffre a une portée principale: la société iranienne a recours massivement, et dans la sphère privée puisque la religion l’interdit, aux contraceptifs. Cela en dit long sur l’état d’esprit et les conceptions philosophico-religieuse réelles des Iraniens, en particulier de notre génération.'

Je ne partage pas completement cet avis sur l'usage du preservatif en Iran, meme si je ne l'ai pas teste ;-). Je pense que l'iran reste avant tout une societe conservatrice voire tres coincee a l'egard des questions de sexualite. Il suffit de
parler avec des jeunes pour s'en rendre compte, c'est la terra incognita absolue pour la plupart d'entre eux et les autres sont marries. Alors sans doute le fait que les jeunes se marrient plus tard, que les femmes sont plus attentives a leur developpement professionnel, je ne sais pas exactement, mais comme le souligne notre ami, il s'agit d'un fait, dans notre conception purement occidentale, de developpement.

Deuxiemement, un article paru dans la presse toute officielle disait que le gouvernement est en rupture avec les elites issues de la revolution. Ces elites ne s'y retrouvent plus. Et il appelait le gouvernement a renouer contact. J'ai
l'impression que ce gouvernement tente d'appliquer a nouveau les recettes qui ont prevalu lors de la revolution, a moindre echelle. Mise a l'ecart des elites existantes (simple exemple: le remplacement radical d'une bonne partie du corps diplomatique par le president des son accession au pouvoir), regain du discours nationaliste et populiste. A cet egard la crise internationale nucleaire tombe a point nomme. Scene surrealiste en pleine campagne alors qu'on etait a 7 ou 8 dans une remorque tiree par un tracteur pour redescendre a Qazvin. Un paysan m'a montre un texto sur son gsm clamant : 'uranium enrichment is our absolute right !'. Ce gars ne pouvait pas aligner deux mots d'anglais (pas de critique, le jour ou je pourrai aligner deux mot de farsi...) et il venait me mettre un message sous les yeux parlant d'enrichissement d'uranium... Sans doute un mot d'ordre donne par le parti ou que sais-je.

Mais il est un fait que la population dans son grand ensemble est a present eduquee et n'accepte plus, ou beaucoup moins facilement, la mediocrite. Elle se montre beaucoup plus critique. Au premier plan, l'emploi des jeunes par exemple.

La revolution islamique (nul ne sait ce qu'il serait advenu sans elle, elle a eu lieu, point) dans sa composante de promotion sociale et d'education des masses aurait mis en place les conditions propres a sa propre auto-critique, sans vouloir parler de fin. Fondamentalement, les Iraniens ne veulent surtout pas d'un changement violent et ils voguent entre la necessite de maintenir un guide supreme pour la stabilite de la societe et les besoins de reforme democratique.

L'Iran a conserve de la revolution islamique au moins une chose : son independance vis-a-vis de l'exterieur et l'iran fera ce qu'il lui plaira. Mais il va de la responsabilite de la communaute internationale de laisser l'Iran fixer elle meme les conditions de sa marche vers sa democratie. Ceci se fera de facon d'autant plus aise en l'absence d'ingerence et de pression inutile des lors que ce pays reste dans ses prerogatives aux yeux du droit international.

Merci de bien vouloir reagir a cet article si quoi que ce soit vous parait insense. Ceci est tire d'une vision partielle, superficielle, d'un europeen qui a passe un mois a discuter avec des dizaines de gens de toutes conditions en Iran avec un oeil sur la presse iranienne et internationale.

Mashhad, Iran - Imam Reza mosque

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