mardi, novembre 14, 2006

Beyrouth (2)

Le dernier événement qui tient la presse en haleine et parfois le passant, sont les négociations sur la formation d'un gouvernement d'union nationale, incluant une part plus grande de ministres du Hezbollah, du Courant Patriotique libre (Général Aoun) et de Amal, un mouvement chiite. Il y aurait nécessité de former un tel gouvernement en raison de la guerre de juillet et de l'extreme tension : on a quand meme tire ces dernieres semaines plusieurs fois au mortier, de façon non revendiquee, a cote du parlement et du siège du gouvernement, sur deux casernes de police... Il est curieux de voir comment ces actes sont relativement banals ici. Néanmoins, c'est assez sérieux que pour faire quelque chose. Le parti de Dieu estime également que la donne a complètement changé depuis cette dernière guerre. On se souviendra de la fête du Hezbollah, rassemblant plusieurs centaines de milliers de sympathisants et de curieux à Dachye au sud de Beyrouth il y a un peu plus d'un mois. Il ne serait même pas nécessaire d'aller plus loin, l'enjeu ce sont les élections anticipées. Mais on est au Liban et tout doit se faire de façon théatrale sinon dramatique, ce qui me convient assez bien quelque part.

Le hezbollah demande donc une minorite de blocage d'un tiers au sein du gouvernement. On les soupconne de vouloir bloquer le proces hariri, le tribunal international qui amenerait des syriens et des libanais haut places devant la barre des accuses. Il est aussi question du round Paris III, le programme d'aide économique international pour le Liban. Ce terme "minorite de blocage" est une expression utilisée par la majorité. L'opposition parle plutôt de minorité de participation. Ce qui a du sens. Comment parler de gouvernement d'union nationale si certaines des parties n'auraient qu'un role de figuration dans ce gouvernement ? Le dernier deal sur la table, à savoir de troquer une minorité de participation / de blocage contre la garantie de la tenue du tribunal international, présenté vendredi, semble aller dans le sens que l'opposition ne tient pas à bloquer l'issue de ce tribunal. Il faut dire que les garanties présentées par l'ONU, exactement au moment où ces réunions "de la dernière chance" successives avaient lieu à la place de l'Etoile, facilitent le troc. Les chefs d'Etat gardent leur immunité (comment le conseil de sécurité de l'ONU eut-il pu en décider autrement, il ne faudrait quand même pas créer un dangereux précédant) et l'assassinat d'Hariri et d'une vingtaine d'autres personnes dans une explosion quasi sans précédent due à un camion piégé avec deux tonnes de TNT, ne sera pas jugé sous le principe de crime contre l'humanité, avec raison gardée également. Mais meme ce troc, personne ne sait plus d'ou il vient, par qui il a ete propose, 4 jours apres qu'il ait ete depose sur la table. On interroge le concierge.

Ce week-end, comme vous avez pu le lire dans la presse internationale, les 5 ministres Hezbollah et Amal, ainsi qu'un ministre fidèle au président Lahoud, lundi matin, ont démissionné, devant l'impasse des négociations. Le premier ministre Siniora a refusé tactiquement ces démissions, pour ne pas valider le caractère anti-constitutionnel qu'aurait un gouvernement ne regroupant pas certaines des minorités nationales. Ce lundi même, le gouvernement réduit de ses ministres démissionaires a tenu une réunion extraordinaire validant le draft rendu par l'ONU sur la tenue du tribunal international pour juger de l'assassinat de l'ex-premier Rafik Hariri. C'est donc un feu vert pour le tribunal.

Tout ceci, vous pouvez l'imaginer, dans un rafus de formules chocs, et de grandes paroles de martyrisation, "Ils veulent assassiner Rafik Hariri une deuxième fois", le terme de "5e colonne" revient régulièrement, l'appel à descendre dans la rue, même pacifiquement (de la part d'un mouvement, le Hezbollah, qui détient un arsenal militaire) serait un acte "dont les auteurs devront supporter toutes les conséquences", d'un coté. D'un autre côté on sort les accusations de collusion, voire de trahison organisée avec l'aide de l'ennemi americano-sioniste. Ca vole bas, dans un concert d'appels et de déclarations toutes plus mélo-dramatiques que les autres.

Il y a deux aspects avec lesquels je voudrais terminer cet exercice libre.
Si ce tribunal est reellement le point sensible de toute cette negociation.
Pour certains, notament au sein de la majorité menée par le mouvement du 14-mars, les deux vont de pair, et on peut le comprendre, mais l'objectif pour le liban, devrait etre l'independance nationale et non le debat de principe sur la culpabilite de tel ou tel politicien. La justice et l'indépendance nationale risquent bien d'être des principes incompatibles dans ce cadre. Car cette culpabilite, meme si elle est etablie et condamnee, il faudra encore que la sanction soit executee, ce qui est loin d'etre acquis. Les syriens seraient deja prets a reactiver le front du golan contre israel, en vue de detourner l'attention de la communaute internationale et empecher le proces hariri coute que coute. Que vaut la condamnation de 2 ou 3 pontes, situation qui va encore exacerber les passions et crisper les positions, en comparaison avec l'occasion historique pour le liban d'acquerir pour la premiere fois depuis 30 ans sa veritable independance ? Ne serait-il pas judicieux d'organiser en coulisse la voie de sortie de certaines influences nefastes ?

Deuxièmement, le debat est accapare par l'influence etrangere sur le Liban. Par consequent, toute avancee sur la fonction et l'organisation de l'etat, les infrastructures, la reconstruction, son role social, l'education, passe au second plan. Une veritable independance, sur des bases solides, passe au depart par l'unanimite des composantes de la nation dans un projet commun. La focalisation des débats s'est faite autour du procès de l'assassinat d'Hariri et de la minorité de blocage. Si l'on considere donc que ce procès est admis par l'opposition, et c'est à l'ensemble de la classe politique qu'il faudrait poser la question, au nom du peuple libanais : quel est votre projet ? On a parlé de Paris III, en pointille, et du procès Hariri, mais absolument rien d'autre n'a transpiré de ces réunions marathon, ce qui personnellement me laisse sur ma faim.




(photos : Beyrouth sauf la derniere, detail de la citadelle de Tripoli)

Aucun commentaire:

Stats