lundi, décembre 11, 2006

Et pendant ce temps à Beyrouth

La deuxième grande manifestation anti-gouvernementale initiée par le Hezbollah, le Courant Patriotique Libre (le parti Chrétien de Michel Aoun), Amal (parti issu d'une milice chiite durant la guerre civile, aujourd'hui parti du président de la chambre, Berri), suivie par le Maradah (parti chrétien nordiste de Frangieh, le fameux sigle "Pi" sur fond de drapeau vert fluo), le Parti Communiste Libanais et le Parti syrien national social, nom quelque peu malheureux mais qui est essentiellement panarabe, avait lieu ce dimanche, une semaine après la première.

C'est un assemblage de partis et de tendances qui peut paraître pour le moins hétéroclite. Pas moins "contre-nature" néanmoins que la coalition au pouvoir, que les Etats-Unis et une large majorité de la communauté internationale nous demandent de soutenir contre les "islamo fascistes", où l'on voit le parti Kataeb (les Phalangistes), les Forces Libanaises (maronite), le Courant du Futur (sunnite, mené par Hariri fils et qui compte le premier ministre Siniora), le parti druze de Walid Joumblatt, pour les principaux partis. Des factions qui se sont livrés une guerre à mort durant les années de guerre civile. Les bourreaux et criminels de guerre occupant des positions importantes, là un poste de ministre, ici une présidence de parti. Imaginons un gouvernement serbe ou bosniaque d'ici quelques années, où l'on retrouverait des Mladic et des Karadzic, soutenu par l'Union Européenne contre un mouvement d'opposition. Ceci doit nous échapper dans la situation libanaise, et je suis étonné que très peu de médias chez nous finalement ne relèvent ce point tout de même important à l'heure où la communauté internationale "regrette" et ne peut que constater que Augusto Pinochet emporte sa bonne conscience dans sa tombe. Mais on ne va pas s'attarder à ce genre de détail, surtout qu'il ne résoudrait rien dans la crise actuelle, au contraire.

Les "Pro syriens"

Les médias présentent donc les premiers comme étant "prosyriens" et les seconds d' "anti-syriens". Par un retournement et un hasard de l'histoire, on trouve parmi les premiers d'importantes forces qui se sont opposées à la mainmise syrienne, notoirement à la fin des années 90. Et l'on retrouve dans le gouvernement des courants qui au moins à un moment ou à un autre ont été les plus sûrs alliés de la Syrie pendant ces années de plomb.

On peut envisager effectivement que la Syrie et l'Iran se frottent les mains d'un embrasement au Liban, question de disposer d'un levier supplémentaire dans la région dans leurs négociations continuelles contre le monde entier. Objectivement, la Syrie soutient et arme le Hezbollah. Néanmoins, C'est plutôt grossier de désigner le mouvement d'opposition exclusivement de prosyrien dans la mesure où, pour commencer, les forces du général Aoun ont été parmi les plus virulentes dans le combat contre la Syrie en 1989-90. Le Parti Communiste libanais, dont un dirigeant a été tué par les services secrets syriens dans la dernière vague d'attentats (voir commission Brammertz) et alliée à une branche communiste dissidente à Damas, dont des cadres et sympathisants croupissent dans des prisons syriennes, ne peut être qualifié de prosyrien Le Hezbollah même n'est pas fanatiquement prosyrien, même si le pouvoir syrien est alaouite et vaguement d'obédience chiite (contre une population majoritairement sunnite). Il profite d'une aide avantageuse de circonstance dans leur résistance contre Israël, ce qui leur confère leur pouvoir. Le Hezbollah est né dans les ruines de l'invasion israélienne de 1982. C'est de là que lui vient sa légitimité, renforcée certainement par une vaste entreprise de clientélisation et d'aide aux population défavorisées, là où l'Etat a fait faillite.

Le Hezbollah est un parti avant tout libanais, qui s'inscrit dans une logique propre au Liban sud, de Tyr à Bint Jbeil et de Nabathiye à Chiah dans la banlieue sud de Beyrouth. Etant donné la ferveur populaire dont dispose le Hizbollah en Syrie, il ne m'étonnerait pas qu'un Hizbollah au pouvoir, allie, au Liban serait le plus grand facteur de déstabilisation pour le régime seculaire, baathiste et corrompu de Bachar al Assad. Et il y a donc lieu de penser que la Syrie voit un intérêt certes à promouvoir un Hezbollah assez fort au Liban, mais pas trop. Ce ne serait pas une première dans l'histoire des relations de la Syrie avec certains mouvements libanais. Mais admettons donc avec le sourire que nous avons en présence un large mouvement pro-syrien qui veut faire tomber un gouvernement d'indépendance nationale, par essence anti-syrien et proaméricain et que tout tourne autour de la question du tribunal international pour juger des assassins de Rafic Hariri. Comme si tout ce beau monde se mobilisait et vociférait pour des acteurs étrangers, en faisant don de leur énergie et de leurs moyens. Au minimum, cette vision manque de subtilité.

Il y aurait bien d'autres grilles de lecture.

Par exemple, une opposition Bourgeoisie/peuple, Gauche / droite, Province / Beyrouth, clan x / clan y...

Si la première manif de l'opposition a attiré 800.000 manifestants, chiffre non contesté, on peut estimer que celle-ci a dépassé de loin la barre du million de manifestants. Au milieu de l'après-midi, la foule était compacte de la place des Martyrs et de Ryadh el Solh a l'intersection Sodeco, deux kilomètres plus haut, et latéralement, quasi d'Achrafyie sur l'avenue Charles Malek, jusqu'au bout de l'avenue Chehab en sens oppose. En revenant en fin après-midi du sud, par la route de l'aéroport, les voitures et les bus étaient parqués jusque bien au-delà de l'Intersection Cola, a 3 bons kilomètres de la place des martyrs.

J'ai été témoin de la mobilisation populaire le matin même à Sour (Tyr) et à Saida (Sidon), les drapeaux flottaient au vent, dépassant des fenêtres de voitures, des bus. Dans ces derniers, des manifestants très jeunes et des femmes. Les hommes sont souvent en voiture. A plusieurs reprises, nous sommes pris dans des bouchons en formation, surtout à l'approche des zones de détour causées par la destruction des ponts par l'armée israélienne en juillet.

Au retour du sud vers Beyrouth en fin après-midi, on pouvait observer une file de voitures et d'autobus, de minibus, arborés de drapeaux en tout genre, qui allait de Saida a Beyrouth quasi sans discontinuer. 40 kilomètres de bouchon au bas mot. La semaine précédente, on pouvait observer le même phénomène sur les routes provenant du nord, colorées d'orange et de vert fluo.

Pour celui qui a vécu un peu au Liban, il aura pu remarquer trs vite que l'Etat y est absolument inexistant. C'est largement une société ultra capitaliste, ou il fait effectivement doux de vivre quand on y a de l'argent, sans aucune règle ni régulation sociale. L'infrastructure publique y est calamiteuse, notamment les chaussées, l'aménagement urbain, la police de la circulation, l'environnement, les postes et telecommunications. Le téléphone portable y est le plus cher du monde. L'internet est également le plus cher et le plus lent du Moyen Orient. La mafia gangrene tout, les ministres confondent le trésor public avec leur portefeuille. Je ne dis pas que l'opposition ferait mieux, mais elle est encore vierge de ces pratiques.

Les raisons de penser qu'il n'y aura pas de guerre civile.

Le Hezbollah est la force principale du mouvement d'opposition. Il est sans doute armé, très armé. Il y a un point non négligeable dans l'argumentation du gouvernement qui veut que la discussion est déséquilibrée. Nous avons un parti, un mouvement, le Hezbollah, qui est au moins aussi puissant militairement que l'armée, sous contrôle du gouvernement. Il n'en reste pas moins que l'armée est sous commandement maronite, chrétien, et l'encadrement est largement sunnite. La base est de toutes confessions, y compris chiite. Les forces de sécurité intérieure dépendent du Courant du Futur (sunnite).

Positivons.
Certains pourraient y voir un facteur de guerre. Je dirais au contraire que vu les forces en présence, personne n'a intérêt a prendre l'initiative d'un déclenchement des hostilités. On a vu que 15 ans de guerre civile dans le passe n'ont mène a rien, sauf a rétablir une constitution qui a peu de choses près, avait été écrite sous le mandat français. Seule une mise en scène grotesque pourrait mettre le feu aux poudres. Quand on aborde cette éventualité avec tout un chacun, de toute condition et de toute confession, c'est une lassitude par avance qui transparaît, surtout pour les gens de 30 ans ou plus.

Ne connaissant le Liban que depuis à peine 3 mois, mais ayant bougé du nord au sud et de l'est à l'ouest, il y a cependant une notion qui traverse toutes les tendances, tous les villages et villes du Liban, et toutes les conditions, à l'exception de quelques groupuscules pro régionalistes, c'est l'amour du Liban. Les manifestations sont éclairantes sur ce point. Dans les premières, et particulièrement celle où je me suis trouvé, suite à l'assassinat du Ministre de l'Industrie Pierre Gemayel, il y avait bien une présence importante de drapeaux des Forces Libanaises et Phalangistes, due aux circonstances, mais la majorité des drapeaux étaient le drapeau national. Pareil pour les deux manifestations de l'opposition. Un raz de marée de cèdres sur drapeau rouge et blanc.

L'alliance entre le parti du général Aoun et le Hezbollah a pour l'instant sauve le Liban d'une surenchère communautaire et confessionnelle.

Le Hezbollah contemporain et l'OLP des 70's. Les similitudes existent. On entend souvent dire sur les campus, dans les discussions avec le commerçant du coin ou dans certains journaux que le Hezbollah se comporte comme un état dans l'état. On parle de 5e colonne, du danger de la présence d'une force armée incontrôlable sur le territoire libanais. Ce débat n'est pas neuf, il a cours depuis au moins le retrait israélien de 2000. Il y a cependant un point non négligeable à savoir que le Hezbollah est libanais. Il y aurait bien d'autres éléments, mais j'arrête la. Pour le reste, incha'allah.


(Toutes ces photos sont la pour rappeler, si besoin il en est, a quel point le Liban est un pays magnifique. Photos prises dans le sud, place des Martyrs, Bekaa)

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