Libre cours.
On traverse de vastes plaines entourées de montagnes aux cîmes parfois enneigées. Le paysage est gris, le crachin de janvier. Sur les chemins longeant les rails, des paysannes qui semblent porter le deuil depuis 30 ans. On pourrait être dans les campagnes de Belgique ou dans certains coins reculés de France. Des têtes me paraissent parfois même familières, rougeaudes, les yeux plissés par le vent et le froid, un sourire entre l'attitude béate et le rictus douloureux. Des chiens se suivent en bande au milieu des prés, en se renifflant le derrière. Des chiffons rouges pendent aux arbres, et rapellent les drapeaux albanais flottant sur les toits des maisons à moitié construites. Des chiens et des ordures partout, des champs de sacs plastique. Le manque de sommeil me fait somnoler dans le compartiment. Avec cette façon de pronconcer les "r" comme en anglais, mes rêveries transforment, dans mon demi-sommeil, les conversations albanaises en un discours tout à fait compréhensible. Des paysans édentés et en haillon parlent de leur cousin de la jet set libanaise, de leur fils en safari au Kenya et de leur oncle qui parcourt les mers chaudes de Chine.
Skroeder, ce lac de boue urbain, me ramène à la réalité. A l'entrée de la ville, deux panneaux : centre et zone industrielle. Dans le style "voyage hard core", l'hotel du centre, le rozafa, du même nom de la citadelle célèbre de la ville, n'est pas mal. Un vague radiateur électrique pour se chauffer le bout des orteils, sans plus, et son robinet resté ouvert pendant la coupure d'eau de l'après-midi. Une marre d'eau dans la moitié du couloir en rentrant le soir, et absolument personne pour constater les dégâts. Ses armoires aux portes démolies et ses fenêtres n'isolant ni du froid ni du bruit. Cette année commence comme la dernière, à Tunis, dans le froid, habillé avec écharpe et bonnet pour dormir. Notre passage dans cette ville du nord de l'Albanie a pour but de rejoindre un village du nord de l'Albanie, Valbona, via un ferry sur le lac Komani, créé par un endiguement de la rivière Drini.
Au bout de la traversée du lac, sur une embarcation consistant en un bus récupéré et soudé sur une barque en métal (quelqu'un a fait une photo visible ici : http://www.blogsmithmedia.com/www.gadling.com/media/2006/07/balkan-10-bus.jpg), on trouve la bourgade de Bajram Curri. De là, le van des navetteurs pour Valbona et les villages du nord de l'Albanie. Cette région est décrite comme étant l'une des plus dangereuses d'Europe, il n'est pas rare que de rares voyageurs s'y fassent dévaliser, au mieux. Même les Albanais des autres régions rechignent à se rendre au Nord. Pour les amateurs de trek et d'eco-tourisme, Valbona est certainement un bon départ. Il y a toujours la chambre chez l'habitant, chauffée avec un bon poële à bois, demander par exemple Arthur (Tel. 06 92804768). Mais revenons aux navetteurs. Deux heures de chemins de terre et de pierre pour relier Valbona à Bajram Curri, l'habitacle envahi par la musique émanant d'une cassette pourrie, passée un dix mille fois, de musique albano-kosovarde. Je pense que c'est la seule activité du chauffeur, un aller le matin, un retour en début de soirée, il tue son temps à Bajram Curri entre les deux. "C'est à la marge des sociétés, à la marge du monde, que l'on discerne le mieux certaines choses, où le fonctionnement intrinsèque de toute société est mis à nu". Ouais, enfin, bon, je commence par m'installer dans ce café de Bajram Curri. Autour, des hommes de tout âge prennent leur café serré, avec un verre de raki (alcool blanc, ce n'est pas le "raki" turc). Dans une ambiance de fumée de cigarette opaque qui va du plafond à un mètre du sol. Il est 8H30 du matin. Et comme partout, cette manie qu'ont les Albanais de rentrer ou de sortir d'une pièce, d'un resto, d'un café, d'un compartiment de train, sans jamais refermer la porte.
Des femmes d'un âge avancé passent sur le trottoir, un foulard blanc sur la tête. D'autres ont un foulard noir, j'ignore vraiment si elles portent le deuil encore une fois. Un vendeur de chaussure, au look funky, pantalon pates d'ef', favoris négligés et veste mi-longue avec fourrure de mouton retourné à l'intérieur est posté devant le café poiur le deuxième jour d'affilée. L'italien est bien la langue véhiculaire pour s'adresser aux étrangers dans le nord du pays. L'Italie est sans doute la seule porte de sortie. Au sud, ils ont la Grèce et la Macédoine. A Tirana, au centre, bien, ils ont Tirana et son activité propre à toute capitale. Au nord, il n'y a rien. A part l'Italie de l'autre côté de la mer. Et dans les montagnes du Nord, il n'y a vraiment rien.
Pour partir vers le Kosovo, nous faisons avec le chauffeur du van 3 fois le tour de la cité de Bajram Curri à la recherche du client. Dans la brume, avec un léger rayon de soleil, on apperçoit une armée de glandeurs, les mains dans les poches. Un remake de la nuit des morts-vivants. 90% de chômage. Il y a 4 (?) modes de conjugaison en français (indicatif, imperatif...). Il y aurait 7 modes dans la langue albanaise, dont un mode qui exprime l'espoir. Je ne sais pas depuis quand ce dernier a été utilisé dans ce coin.
Kosovo
A coté de l'Albanie, le "malheur kosovar" fait office de supercherie. Les véléités de panalbanisme n'ont pas résisté longtemps à l'ouverture des frontières albanaises. Peu de kosovars sont aujourd'hui pressés d'être réunis à leurs frêres de l'autre côté de la frontière. Encore un exemple du caractère très variable dans l'espace et dans le temps de l'identité nationale. Le Kosovo, c'est en effet un réseau routier relativement performant, des kilomètres de centres commerciaux, de la lumière partout, une population qui parle bien l'anglais, des emplois, des euros, pour peu un 52e état US.
Il y a cependant des facteurs qui empechent l'indépendance. Le droit des Serbes au retour, conformément aux conventions internationales sur le droit des réfugiés et autres victimes de nettoyage ethnique. Bien entendu, ceux qui ne possédaient rien ou peu, et les miliciens notoires, ne reviendront pas. Les propriétaires terriens peut-être. Des quartiers entiers de Prirzen sont aujourd'hui réduits à l'état de villages fantome, supervisés par les casques bleus, de leur niz d'aigle sur les collines avoisinantes. Des maisons aux vitres brisées, à moitié incendiées, des toits qui manquent, des rats et des chats comme seuls badeaux. Les habitants sont quelque part à Nis, Belgrade...
L'enjeu de l'indépendance se trouve également en République serbe de Bosnie, dont les forces politiques en présence ne manqueront pas d'auto-proclamer leur indépendance à leur tour si le Kosovo en fait de même unilatéralement.
Des photos suivront à la mi-février.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Albanie
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